le 27/01/2011 - JP BOCQUET |
Au fil des jours…
Jeudi 27 janvier
2011. Les routes de Loire-Atlantique sont mortelles, autant si ce n’est
davantage que les autres routes françaises. Mais quand je me rends
dans ce beau département en plein développement économique
et touristique, je suis toujours frappé par les panneaux qui me
signalent qu’Untel ou Une telle avaient peu d’années et qu’ils
auraient voulu vivre. C’est peut-être à ces endroits tragiques
qu’il faudrait placer les radars.
Laëtitia elle aussi ne demandait
qu’à vivre. Elle avait une mère – celle qui donnait l’amour
à en croire la définition d’Albert Jacquard -, une famille,
un avenir à partager. Elle a disparu à Pornic et tant que
son corps ne sera pas retrouvé, elle ne sera pas officiellement
décédée.
Le suspect potentiellement dangereux
interpellé à Arthon-en-Retz serait donc un récidiviste,
à condition bien entendu qu’on puisse établir sa culpabilité.
Pour l’instant il se contente de bribes de vérité ou de mensonge
sur l’enlèvement, ses circonstances, les actions criminelles graves
qu’il a pu perpétrer. En somme, tout porte à croire que…
mais rien ne permet pour l’instant d’affirmer que. Tout repose donc sur
des aveux qui tardent à venir et qu’il pourrait très bien
rétracter par la suite.
Face à l’affliction, l’angoisse
et la révolte devant l’horrible fait divers de Pornic, le Président
promet de durcir les dispositifs pénaux pour les récidivistes,
d’aucuns pointent le laxisme des services chargés de contrôler
la réinsertion sociale du suspect sorti de détention en février
2010, les services incriminés arguent d’un manque criant de moyens
humains et matériels pour accomplir leurs missions. La disparition
de Laëtitia n’est déjà plus qu’enjeu de récupérations
sordides et d’affrontements idéologiques.
Une fois encore, c’est après
coup et dans l’émotionnel que surgit le problème. Avant coup
c’était le silence, le « tout va très bien Madame la
Marquise », le ‘ « tout va pour le mieux dans le meilleur des
mondes ». Les polémiques et les effets d’annonce s’éteindront
d’ailleurs quand les charognards du malheur auront sucé celui-ci
jusqu’à la moelle, permettant ainsi à l’indifférence
générale sevrée de compassion de lisser tout ça
dans la bonne conscience.
Laëtita elle aussi sera éteinte,
à jamais, laissant au cœur des siens le souvenir lumineux de ce
qu’elle était et l’irréfragable douleur de sa disparition.
À supposer qu’on ne retrouve
jamais son corps, pourra-t-on parler d’assassinat ? De coupable et d’assassin
? De récidiviste ? Exiger une peine exemplaire ? Ce crime horrible
deviendra en quelque sorte pour son auteur un crime propre, une sinistre
affaire qui se termine bien pour sa pseudo-conscience.
Surveiller et punir, la belle affaire
! Tout comme certains assassins, mais dans un autre registre, les Institutions
sont également adeptes de la récidive. Les détraqués
n’ont jamais renoncé pour autant à assouvir leurs pulsions,
mus par une logique imperméable à la Loi. Les éventuels
jurys populaires n’y changeront rien.
Cioran constatait avec cynisme
qu’il vaut mieux côtoyer des fripons et des farceurs que des fanatiques,
des fanfarons que des martyrs, des gangsters que des fous imprévisibles,
des Pyrrhon que des saint Paul et, pourquoi pas, la corruption que la vertu
doctrinale. Il voyait dans le martyr à qui on n’aurait pas coupé
la tête un persécuteur en puissance. Je laisse Cioran aux
attendus et aux conclusions de son Précis de décomposition.
J’en goûte esthétiquement le sel mais je n’en ferais guère
mon salaire. Je constate quant à moi que notre époque m’oblige
à côtoyer à la fois les fripons et les fanatiques,
les fanfarons et les martyrs, les gangsters et les fous imprévisibles.
En matière de délinquance et de criminalité, les fous
imprévisibles deviennent même légion, pervers, psychopathes
ou branlotins inconséquents. Et si le gangster ne tuait ou torturait
qu’encas d’absolue nécessité (ce qui est certes horrible),
le fou imprévisible ou le branlotin inconséquent tuent ou
torturent par lubie, pulsion, fantasme, plaisir, réification de
l’autre, tendances schizoïdes ou rationalité maniaque, hallucinations
et retours d’acide, etc.
Il sera donc toujours vain de se
contenter de surveiller et punir si l’on ne commence pas par prévenir
et guérir. Faute de vouloir s’attaquer aux racines du mal, aux racines
de ce qui est en fait une crise de civilisation, autant pisser dans un
violon.
Dans ce domaine comme dans d’autres,
de longs et pénibles efforts seront encore nécessaires avant
que notre tâche soit achevée. Mais plutôt que d’aspirer
au repos hypocrite ou de s’envoyer réciproquement comme une insulte
la responsabilité des drames quand ils nous éclaboussent,
efforçons-nous ensemble. La mémoire de Laëtita et de
tant d’autres mérite bien notre quotidienne et persévérante
solidarité.
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au fil des jours
Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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