le 31/01/2011 - JP BOCQUET |
Au fil des jours…
Lundi 31 janvier 2011. L’Égypte
vit aujourd’hui des heures incertaines, le pouvoir en place multipliant
les moyens matériels de la menace et de la violence armée
face à l’inébranlable exigence de liberté de la rue.
Pour un pouvoir aux abois, désavoué
par le peuple, contesté dans sa légitimité et son
autorité, la répression sanglante est toujours une tentation.
Moubarak et ses soutiens croient (naïvement ?) qu’en interdisant les
prises de vue en direct et les émissions d’Al-Jazira, qu’en exhibant
en permanence leur image hiératique sur les écrans, qu’en
coupant certains moyens de communication, qu’en employant les chars et
les avions, qu’en laissant entendre de mystérieuses rafales d’armes
automatiques, qu’en faisant peur, ils pérenniseront davantage un
ordre inique qui n’a que trop duré et démobiliseront les
manifestants.
Ils tentent de jouer le scénario
du chaos et des pillages, du trou noir politique, comme si brusquement
tout ce que l’Égypte a d’énergie et de potentiel humain aller
disparaître au fond du puits sans fin du désordre. Et c’est
vrai que d’une certaine façon, cette révolte s’apparente
à un corps devenu si dense et au champ gravitationnel si intense
que toute la matière humaine risque d’y être happée,
chauffée à mort avant d’être engloutie.
C’est la thèse que soutiennent
parfois aussi certains commentateurs, laissant supposer que l’Égypte
aurait davantage intérêt à un pouvoir dictatorial organisé
qu’à un mouvement de révolte sans véritable leader
ni structure. C’est oublier un peu vite qu’avec de tels raisonnements,
la France de 1945 aurait dû s’en tenir à Pétain plutôt
qu’au CNR, l’Espagne rester franquiste et que le principe d’alternance
ne devrait même pas exister dans nos prétendues vieilles démocraties
occidentales. C’est oublier un peu vite qu’en leader charismatique de ce
soulèvement populaire, le prix Nobel de la Paix Mohamed El-Baradeï,
déclarait place Tahrir : « Je vous demande de patienter, le
changement arrive. » Qui oserait prétendre que l’Égypte
n’est pas prête pour l’alternance ? Qui oserait prétendre
que ce qui est ou fut possible en Europe ne le serait pas en Égypte
? Qu’est-ce que cette survivance d’une pensée coloniale ?
Au nom du syndrome du trou noir,
on nous rejoue aussi la fable du chien qu’on accuse de la rage pour le
noyer. En l’occurrence la chaîne Al-Jazira, accusée d’avoir
mobilisé la rue, comme en Tunisie, et parallèlement accusée
d’être à la solde des islamistes.
Et sans doute eût-il été
plus confortable et plus habile pour Al-Jazira de se coucher devant le
pouvoir en place que d’assumer son rôle de contre-pouvoir avec
tous les risques inhérents. Georges Bernanos, parlant de la France,
disait à peu près que « la France a faim de justice
mais elle a soif d’honneur » et s’empressait d’ajouter « et
chacun sait que l’on crève plus vite de la soif que la faim ».
Ce qu’a fait Al-Jazira est tout
à son honneur. Les Égyptiens ont légitimement faim
de justice et soif d’honneur. La clé de leur avenir n’est ni dans
l’armée aux carrefours ni dans la police qui réinvestit l’espace
public, et pas davantage dans les simulacres de Moubarak sur fond d’attentisme
des Occidentaux. La clé de leur avenir, telle la clé mythique
de leur Nil baigné de soleil et fécond, se trouve dans leur
lumineuse détermination. Nourris et abreuvés de cette source
limpide, gageons qu’ils ne crèveront ni de faim ni de soif.
Quant à nous, partisans
désengagés et benoîts de changements pacifiques, observateurs
prudents de cette « période cruciale », espérons
que nous ne crèverons pas de soif. La Kabbale nous apprend que Dieu
se serait retiré de sa création par amour pour elle. Pacifiquement.
Moubarak sait ainsi ce qu’il lui reste à faire s’il aime son peuple
et s’il souhaite un changement pacifique. Aux Occidentaux de mesurer aussi
ce qu’ils doivent désormais dire haut et fort s’ils ne veulent pas
se retrouver complices d’un bain de sang.
Je voudrais terminer par le souvenir
de ces chrétiens coptes sinistrement assassinés par l’immonde
bêtise humaine voilà un mois. Que la révolte en cours
soit aussi celle de la réconciliation entre tous les Égyptiens,
dans l’égalité de l’amour et le respect mutuel de chacun
dans ses différences. Rodin affirmait qu’ « une cathédrale,
ce sont deux mains qui s’unissent en prière ». Mais le sculpteur
de sociétés pourrait compléter et lui rétorquer
qu’une cathédrale, ce sont deux mains étrangères qui
s’unissent en fraternité, deux mains qui construisent un pont entre
les hommes aux carrefours de l’Esprit.
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au fil des jours
Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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