Au fil des jours…
Lundi
30 mars. Matinée un peu plus grasse ce matin pour ce début
de séjour à Vias, station balnéaire proche du Cap
d’Agde. Il y a vraiment deux France. Celle où le froid retors étend
sa gale un peu partout, paralysant les plaines du Nord à la Beauce,
incrustant une neige grumeleuse dans tous les recoins des hauteurs du Massif
central depuis la chaîne des Puys, abrasant d’un vent glacial les
étendues arides du Larzac et de Lozère. José Bové
a mille fois tort : cette France reste globalement la douce France
chantée par Trenet mais elle n’est jamais à l’abri de printemps
maladifs, plus hostiles au bien-être que celui de Mallarmé.
Plutôt que de saccager les supermarchés ou les champs de maïs,
José Bové ferait bien de s’attaquer aux printemps maladifs…
Mais il est vrai que son ego de simili-paysan souffrirait difficilement
d’être rendu à son insignifiance !
Et puis
il y a l’autre France, celle que je redécouvre avec un émerveillement
inentamé à chaque fois que je débouche du tunnel du
Pas de l’Escalette et que la luminosité jaillit de partout. Quelle
jouissance de descendre vers Lodève et Bédarieux, le regard
saturé d’affleurements de bauxite, de coteaux striés de ceps,
d’oliviers et de bouquets de pins parasols. Prémisse et promesse
de fruits et d’agrumes, de vins généreux et de fontaines
rafraîchissantes, de fritures de sardines et de brasucades, de bains
de mer interminables, tel est ce premier contact avec la corne de l’Hérault
qu’évoque Nathalie Sarraute. J’en ai sillonné toutes les
routes à vélo, des nationales aux chemins vicinaux (à
condition qu’ils soient goudronnés), libre et heureux, comblé
d’amandes sauvages ou de figues cueillies au hasard de mes itinéraires
ensoleillés. Cette sortie du tunnel du Pas de l’Escalette c’est
à chaque fois une petite graine d’espérance qu’un dieu bienveillant
dépose au tréfonds de mon être…
Il est
9 heures et je me dirige vers la plage, épiant les cormorans qui
survolent l’étier de jonction du canal du Midi, scrutant les poules
d’eau dans les rives herbeuses du Libron en tout point comparables à
celles du canal des Chats… Au loin, dans la lagune et ses étangs,
de minuscules taches claires ou cendrées, scintillant au soleil,
signalent la présence des aigrettes ou des hérons. La vie
est là, simple et tranquille, comme disait l’autre de sa cellule…
Finalement, j’ai tort de penser
qu’il y a deux France : je me laisse piéger à chaque fois
par le mirage d’un autre regard. Téteghem vaut mille fois Vias quand
je me lève de bonne humeur. Cette façon qu’on a de parler
de la France en disant « ce » pays, comme on le fait depuis
les années Mitterrand m’horripile. La France n’est pas un objet
que l’on pourrait examiner à distance, se réservant le rôle
de l’observateur savant et volontiers méprisant, la France est «
mon » pays et « ma » patrie autant que Du Bellay pouvait
chérir « son » petit Liré ( bel exemple d’hypocoristique)…
La France
est « mon » pays, l’Europe est « ma » nation, la
Terre est « ma » demeure et le Monde « ma » république.
Il ne s’agit nullement ici de possession mais d’amour et de filiation.
Je n’ai partout que « mes » frères humains, «
mes » semblables. J’essaie de leur donner bien maladroitement «
mon » amour et c’est à la pesanteur de ma pierre que je mesure
souvent l’ardente obligation de l’effort. Je me surprends parfois à
prier Dieu – s’il existe – d’ajouter la grâce à la pesanteur…
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au fil des jours
Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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