Au fil des jours…
Samedi 30 mai. Beauvais. Il est
midi et je déambule dans les rues piétonnes du centre-ville.
La cathédrale St-Pierre, le musée, l’office de tourisme,
la place du marché et la place Jeanne-Hachette s’égayent
d’un franc soleil mais un vent rebelle et un peu frais me rappelle que
cette ville historique de l’Oise, pour charmante et accueillante qu’elle
soit, ignore les vertus lénifiantes de la sieste méridienne
à l’ombre… Ici, ce n’est pas comme à Béziers ; il
faut fuir les ruelles obscures dont les courants d’air ne sont guère
salvateurs.
J’irai donc m’abriter derrière
les paravents d’une terrasse ensoleillée pour le déjeuner.
La serveuse qui me prend en charge – affable et familière – a tout
à fait le profil de l’emploi : pour assaisonner les mets simples
d’une brasserie, la purée maison et les rognons ou l’escalope, il
faut bien la sauce à la normande et la demoiselle enjouée,
n’est-ce pas ?
Je la trouve bien pâle, cette
serveuse. Quelques jours d’exposition au soleil des plages du Midi m’ont
assuré d’un teint qu’elle ne saurait obtenir après des semaines
d’allées et venues sur la terrasse de sa brasserie… Je la plaindrais
presque. Presque… Mais bizarrement, elle me recommande de me méfier
du soleil de Beauvais, particulièrement « agressif ».
Je suis touché de sa prévenance, de son débordement
d’attentions pour le client…Cela ne m’empêche pourtant pas de penser
qu’elle met à côté de la plaque et qu’elle manque de
discernement : vouloir me faire gober que Beauvais a un climat tropical
et que c’est ici, fin mai, que mon crâne grillé sous d’autres
latitudes craint l’insolation, c’est me prendre pour un naïf ou l’être
elle-même… Elle n’est donc pas à plaindre ; je me contenterai
de lever les yeux pour implorer le dieu du bon sens pour qu’il lui pardonne
car elle ne sait pas ce qu’elle dit… Allons ! Elle est aux petits soins
pour me servir ; elle sait donc parfaitement ce qu’elle fait et je n’en
demande pas plus…
Au coin de la place, les militants
politiques quant à eux ne savent pas plus ce qu’ils font que ce
qu’ils disent. On leur a demandé de « faire le marché
», aussi accostent-ils touristes, badauds, ménagères
et habitués des lieux pour leur fourguer la bonne parole et les
tracts. En fait, ils récitent des leçons apprises par cœur,
peintes en vert pour les uns, en rouge pour d’autres, en mauve à
l’occasion pour ceux qui semblent s’être fait un deuil du succès
de leurs candidats au scrutin du 7 juin. Ainsi va la vie… Quelques rares
passants amorcent d’impossibles dialogues avec ces préposés
au tractage qui leur ânonnent leurs argumentaires en parfaite indigence…
Une jeune fille déterminée
et en tenue de campagne (au double sens du terme) m’a collé de force
un fascicule dans la main avec l’aplomb d’un charlatan qui refile sa panacée.
Je suppose que si elle arrive à liquider le paquet qu’elle a sur
les bras elle aura le sentiment d’avoir changé le monde. Du coup,
je me retrouve embarrassé de ce dont elle se débarrasse et
je m’éloigne lesté de milliers de mots que je ne lirai
jamais. Au loin, des têtes inertes et bariolées qui encombrent
les panneaux électoraux semblent me juger. Comme s’il me fallait
des affiches et des slogans pour faire mon choix. Mon choix, je l’ai patiemment
élaboré depuis des mois, en observant les uns et les autres,
en jaugeant les réalités et en osant modestement penser par
moi-même…
Finalement, l’impression qui me
reste de ce samedi à Beauvais, c’est celle du recyclage. Impossible
recyclage du soleil de l’Oise qui ne sera jamais celui de Miami. Improbable
recyclage de ma sympathique serveuse qui comprendra peut-être un
jour qu’un Nordiste ne limite pas nécessairement l’héliotropisme
aux confins de la Picardie. Recyclage plus que jamais à toutes
les sauces (auxquelles je préfère quand même la sauce
normande de ma serveuse) dans les propos inconséquents des formations
politiques… Et pourtant, que de déchets ! Que de papier gaspillé
! Que d’arbres abattus par ces dérisoires tempêtes idéologiques
! Est-ce vraiment cela, la liberté d’expression ?
Il fait beau. Je suis à
Beauvais. C’est le beau qui m’attire aujourd’hui. Je remets à plus
tard ma méditation en germe sur les effets pervers de la démocratie.
J’aperçois une poubelle au coin de la place. J’y jette le programme
qui promettait sans doute de transformer l’Europe en contrée de
Cocagne. Apparemment, à en croire par le contenu de la poubelle,
je ne suis pas le seul à accomplir ce geste. Bah ! tout ce papier
recyclé et qui vante les mérites du recyclage ira au recyclage
dans un cycle sans fin pendant que les leaders politiques qu’il tente de
promouvoir se recycleront eux aussi jusqu’au jour où l’électeur
les enverra au rebut.
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au fil des jours
Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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