Au fil des jours…
Mercredi 27 mai. Tout s’épanche
aujourd’hui : les cœurs et les reins, les hommes et la nature. J’ai longé
les berges du canal du Midi à vélo. Floraisons invisibles
des premières chaleurs ou des dernières pluies, esprits malins
des marais, des myriades de minuscules et silencieux moustiques ont épanché
leur désir épidermique : ils ont discrètement épanché
leurs toxines irritantes dans mes vasculaires en échange d’infimes
prélèvements sanguins. Des chapelets de vésicules
vont bientôt bourgeonner sur la surface épanchée de
mon corps, source d’insupportables démangeaisons exacerbées
par la chaleur du soleil. Tout cela va s’épancher et suinter quelques
jours avant de se résorber en squames rosâtres et indolores.
L’épanchement de la vie est là, impitoyablement indifférent
à mes propres épanchements protestataires… Et mes mains débordent
à leur tour de l’envie de s’épancher pour gratter jusqu’au
sang ces boutons disgracieux qui me crucifient.
Les épanchoirs du canal
qui détournent les crues intempestives vers les étendues
saumâtres des marais et des roselières sont à sec.
Tant mieux pour le vélo ! Pour le vent, c’est une autre histoire
: une violente tramontane épanche depuis hier des séries
de rafales jusqu’à cent kilomètres/heure… Il faut paraît-il
compter en 3, 6, 9 pour déterminer l’épuisement de ses coups
de butoir. Pour le moment, ses secousses rageuses et son gigantesque soufflet
de forge haletant emportent le pollen de peuplier pour l’éparpiller
dans tous les recoins, saupoudrant les merguez qui grillent sur les barbecues
de leurs laineuses épices… Gare aux allergies ! Mais entre les épanchements
d’histamine et les catastrophiques épanchements de grêlons
qui ont bombardé la France de Lille à Toulouse, j’ai fait
mon choix : j’opte pour les graciles guirlandes et les entrelacs légers
du pollen.
Hier, les manifestants ont voulu
à nouveau épancher çà et là leurs cortèges
mais le souffle n’y était plus : de toute évidence, mai 2009
ne sera pas mai 68…
Ce soir nous sommes invités
à l’apéro chez X. Les bouteilles s’épancheront, mélangeront
leurs effluves dans des verres où naîtra l’Américano,
boisson alcoolisée que ce cher X prépare à merveille
: l’alcool rend volubile, est propice aux épanchements les plus
variés, parfois insoupçonnés…
L’épanchement est la loi
de la vie, sa trame universelle. Seul l’homme entend y résister,
par pudeur, par ruse ou par orgueil… Si nos vies s’épanchaient davantage
(oui, je sais, le jeu de mots est tiré par les cheveux…), les douleurs
contenues déborderaient sans doute mais aussi les gestes simples,
les propos espérés et les accueils généreux
que n’égaleront jamais les civilités ordinaires. Je croirai
en ce dieu qui créera ces épanchoirs où les limons
fertiles de nos émotions cachées féconderont les vastes
roselières humides du bonheur qui les baptiseront de leurs fleurs
de sel…
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au fil des jours
Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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