le 10/07/2009 - JP BOCQUET
Au fil des jours…














Mercredi 8 juillet. Platanes. Les consonances du mot ne sont guère esthétiques, l’arbre a mauvaise réputation et pourtant, sans sa bienveillante présence, les routes du Midi que je parcours à vélo ou en voiture perdraient beaucoup de leur charme.
Éclairés par les phares de ma voiture la nuit, les platanes me couvent comme une immense haie d’honneur protectrice, me dessinant mon chemin et défilant silencieusement de part et d’autre de mon pare-brise avant de s’évanouir dans l’obscurité qui me poursuit implacablement. Leurs itératives silhouettes fantomatiques surgies du néant qui les engloutit aussitôt me projettent alors aux frontières de cette traversée du miroir qui libère merveilles et fantasmes. J’ai souvent le sentiment, lors de ces itinéraires nocturnes, que l’Autre Monde m’attend, étrangement hospitalier… Mais qu’un hérisson ou un sanglier vienne à traverser la route et c’en est fini des merveilles. La noble chevauchée de mon 4X4 pourrait virer au petit meurtre anonyme ou au tragique accident. Hérisson ou sanglier ? c’est simplement une question de poids et de vitesse ; à distance et dans le halo des phares, la forme est la même. Seul le retour à la réalité sera plus violent dans un cas que dans l’autre…
C’est néanmoins de jour que je goûte vraiment leur compagnonnage de bon aloi. Leurs troncs majestueux et séculaires s’alignent en impassibles colonnes d’interminables péristyles où le génie inventif de la nature le dispute à l’esprit géométrique de l’homme.
Ils m’accueillent sous leurs puissantes ramures, esquissent de rafraîchissants dômes de verdure, filtrent les rayons brûlants du soleil, percolent cette aveuglante lumière solaire qui voudrait m’assaillir, la tamisent au travers de leurs larges feuilles bien découpées, la métamorphosent en pénombre bienfaitrice. Je ne boude pas mon plaisir en ces lieux propices ; je prolongerais plus que de raison ces longues balades apéritives et roboratives à vélo au milieu de ces irremplaçables fresques ! Même le concert des cigales qu’orchestrent le soleil et la chaleur en crescendo s’y fait moins assourdissant. Ce temple improvisé des platanes me fait entrer en l’espérance d’un monde irénique…
Les platanes me renvoient aussi l’image de leur empathique souffrance et de leur abnégation. Leur écorce desséchée se détache par lambeaux, marbrant le tronc de figures irréfragables et mobiles aux couleurs tendres ; les bouffées de tramontane accélèrent à l’occasion cette incessante desquamation. Les troncs les plus vénérables se parent aussi d’anfractuosités où nichent des oiseaux ou des frelons, où des chevêches établissent leur poste de surveillance.
Pourquoi donc alors crier haro sur ces arbres, les vouer aux gémonies, en faire les boucs émissaires de nos embardées mortelles ? Parce qu’ils n’ont pas de bulletins de vote ? Un ancien ministre de l’Équipement voulait leur couper la tête, sous prétexte qu’ils encombrent parfois malencontreusement les trajectoires folles des automobilistes débridés… Autant tout éradiquer, en commençant par l’espèce humaine, et envoyer notre chère planète dans une autre galaxie !
Au hasard de mes vélocipédiques circuits, je n’ai pas vu davantage de bouquets du souvenir maculant les platanes que les parapets, murets, accotements vierges ou carrefours anodins…
Ce matin, le long d’une ligne droite à découvert, des gerbes et des couronnes mortuaires ornaient un modeste amandier sauvage, un amandier qui n’en pouvait mais, un amandier qui ployait presque sous le poids de ce débordement d’amour qui ne lui était pas destiné mais qui s’adressait à la figure adolescente déjà jaunie par le soleil et au sourire à jamais figé. Qui a tué ? Mystère. Qui est tué ou s’est tué ? Un jeune… et les platanes ne sont pour rien dans l’affaire.
Toute leçon de morale serait ici déplacée, inutile et inefficace ; il faut bien que jeunesse se passe… Déplorons pudiquement qu’elle trépasse trop souvent avant même d’être passée… Les engins et les techniques modernes sont mille fois plus performants pour précipiter vers une mort programmée nos contemporains Icares que les innocents platanes.
Et d’ailleurs, couleuvres ou lapins écrasés qui s’égrènent sur la chaussée comme des bornes kilométriques me rappellent la balourdise dévastatrice de jeunes conducteurs mal initiés à l’existence, c’est-à-dire à l’existence des autres. Gémissons mais espérons… Perceval lui aussi commença par la balourdise après tout.
Il n’est pas sûr que les sages vieillards chancis qui prennent leur véhicule pour une épée de lumière, présumant de leurs forces et de leur vigilance, soient davantage à recommander.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Jean-Pierre BOCQUET
Professeur de Lettres retraité
Conseiller municipal
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