le 07/04/2009 - JP BOCQUET
Au fil des jours…













Mardi 7 avril. Nuances… Nuances du ciel laiteux, plombé vers l’ouest. Une fois encore, la barrière pyrénéenne retient les nuages, qu’ils remontent d’Espagne, dévalent d’Irlande ou se lèvent de l’Atlantique. Ils débordent parfois jusqu’à Perpignan. De Narbonne à Sète au contraire, le ciel est souvent plus clément. La poisse reprend à Montpellier que n’épargnent guère les fameux phénomènes cévenols. 
Alors, quand la météo nous annonce que les pluies pourraient être plus soutenues en Languedoc Roussillon, elle ne finasse guère : elle est aussi ample que les gestes de ses présentateurs qui englobent dans une belle générosité Dunkerque et Strasbourg dans ce qu’ils appellent l’Est de la France et n’hésitent guère à découper notre Pays en cinq quarts.
Pour autant, ils ne sont pas péremptoires. Ils n’oublient jamais qu’ils ne donnent que des prévisions, même si les symboles de leurs animations – notamment sur France 3 – métamorphosent un régime de bruine en ciel diluvien. Ils ne sont pas péremptoires mais infiniment précautionneux dans le commentaire. Ils multiplient les nuances inaperçues du péquin ordinaire qui ne gobe que la carte, les animations, les toilettes parfois affriolantes des présentatrices, les sourires entendus ou les lamentations de circonstance, l’incontournable évidence des couleurs et des effets d’annonce…
Ainsi pour aujourd’hui : les pluies pourraient être plus soutenues dans la partie sud de la perturbation, notamment en Languedoc Roussillon. Vais-je protester parce qu’en matière de pluies soutenues je n’ai eu que quelques gouttes ? On me renverra au « pourraient » qui impliquaient qu’elles ne le seraient pas nécessairement. Mais l’arme défensive l’est tous azimuts : à supposer que j’eusse essuyé des draches inhabituelles, on aurait rétorqué à mes récriminations que les pluies « soutenues » étaient prévues, d’ailleurs « plus » que moins pour ma pomme, et que « pourraient » incluait nettement cette possibilité… Et malheur à celui qui, plus au nord, a cru que la perturbation ne serait que de faible activité dans sa région ! En cas de traînées de pluie à n’en plus finir, l’adjectif « soutenues » anticipait l’objection. Qu’il s’en prenne à lui-même et écoute d’une oreille plus attentive la prochaine fois !
La météo a donc toujours raison, comme le chef. Elle produit simplement des énoncés polyvalents et polysémiques, d’une syntaxe pernicieuse, jamais pris en défaut : c’est l’oracle de Delphes de la civilisation urbaine. Les vieux marins savaient lire le ciel et ses pieds de vent, sonder la houle et ses amplitudes, observer les vols migratoires des grues et des bécasses  pour mieux caboter… Les vieux paysans tiraient moult indications de la rosée matinale… Mais nous ? Le nez collé aux prévisions des acolytes des offices de tourisme et autres vendeurs de loisirs, nous prenons leurs vessies pour des lanternes en toute bonne foi.
Car si nous le faisions de mauvaise foi, nous ferions de la politique. Souvenons-nous : le bout du tunnel entraperçu ; la belle affaire ! La belle affaire que cette nuance d’une vie meilleure qui se profile quand le véhicule est en panne au milieu du tunnel ! Souvenons-nous des embellies promises par le gouvernement Mauroy, des métaphores presse-boutons sur les feux tricolores pour anesthésier le  « peuple de gauche » (comme s’il y avait deux types de Français !)… Souvenons-nous des discussions byzantines sur la nuance entre la rigueur et l’austérité… Souvenons-nous de la chasse au Rocard à coups de phrases amputées du genre « La France ne peut pas accueillir toute la misère du Monde »… Quant à la part de la misère du Monde que le Michel en question demandait que la France prît en compte, il n’en fut jamais médiatiquement question : un dieu élyséen avait cimenté l’union sacrée de ses escouades serviles et des ambitieux du camp adverse pour prendre aux rets l’ancien scout et lui taillader savamment les jarrets… Il est vrai que Rocard –dont le nom scout signifiait à peu près « écureuil avisé » - pratiquait la chasse aux archaïsmes et ne manquait jamais une occasion de dire ce qui devait être dit… Bref, il dérangeait. Pensez donc ! que quelqu’un puisse dénoncer ce qui a tort dans le train-train quotidien, veuille réformer, voire tordre le cou à la misère, voilà qui risquait de malmener les cénacles de parasites et leurs fonds de commerce… On l’a donc abattu sans nuances.
Et ces derniers temps on recommence. Qui pourrait croire en effet que les silences unanimes de certains journalistes, conseillers en communications, linguistes et intellectuels en politique sur le sens de certaines nuances soit innocent ? Je m’explique : quand le Président de la république déclare que « l’Homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », il sous-entend et présuppose que l’Homme africain en question y est donc entré et l’exhorte tout bonnement à aller de l’avant en ce sens. Où est le jugement négatif en la circonstance ? Assez vient en effet du latin ad satis qui signifie « complètement, tout à fait ». Les contempteurs prétendument avisés de notre Président auraient dû consulter un bon dictionnaire à ce sujet et sans doute se satisfaire des explications proposées plutôt que de donner péremptoires dans l’A.B.C. de l’antisarkozysme primaire… À moins qu’ils ne soient que d’imbéciles vers de terre auxquels les repentances guignolesques de la mante religieuse échevelée ont coupé les pattes.
D’autant plus que la mante religieuse croque les propos d’autrui sans nuances. Ainsi, « n’est pas assez » devient dans sa voix stridulante « n’est pas encore ». Autrement dit, et sans vergogne, elle fait dire à « quelqu’un » le contraire de ce qu’il a dit. Apparemment, cela n’a pas gêné Martine qui s’est crue adroite en renchérissant ni Vincent Peillon, notre agrégé philosophe pourtant aguerri au maniement des concepts. Quant à Laurent, bardé de son agrégation de lettres et d’une longue habitude des subtilités sémantiques, il en est resté coi. Pauvre France ! qu’as-tu fait de tes lettrés ?
En ce 7 avril, les atermoiements de la météo et les inepties de Ségolène m’incitent à la méditation sur l’Histoire. Avec l’entrée dans l’Histoire, fini le mythe de l’éternel retour qui nous soumet au cycle immuable des saisons et des forces qui nous dominent, à la fatalité d’un cosmos immobile. L’Homme occidental est censé être totalement entré dans l’Histoire : il se prend en charge, s’assume totalement, croit au progrès et à l’avenir, etc. Le christianisme est par essence une religion de l’Histoire… Quand je gratte correctement les méandres poussiéreux de ma pensée, m’apparaît néanmoins cette évidence : l’Homme occidental continue à s’accrocher de toutes ses fibres au mythe de l’éternel retour. Non pas pour composer magiquement avec les calamités (et quelle qu’en soit l’origine) mais parce que son calendrier reste rituel, parce qu’il pense que chaque jour sera indéfiniment suivi d’autres jours et que les roses refleuriront toujours.
Finalement, aux nuances culturelles près, tous les hommes sont fondamentalement frères, si ce n’est le refus naïf des Occidentaux du lien irréfragable entre la vie et la mort…
J’ai quelques livres au mobile-home : ils m’aident à lutter contre les brumes de l’esprit, moins passagères que celles qui décorent le ciel à l’occasion. Et puisque mon frère africain  Cheikh Hamidou Kane me tend L’aventure ambiguë, je vais « entrer » dans sa lecture, méditer toutes les nuances d’un itinéraire spirituel où chacun, à l’instar du héros peule, est amené à ce carrefour où il doit s’enrichir de ses propres différences pour mieux tendre vers l’Universel. 
 
 
 
 
 
 
 
 
Poisson 01/04/2009
L'Aquila 06/04/09
Nuances 07/04/09
TGV 08/04/09
Insouciance 09/04/09
 Couronnes d'épines 14/04/09
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 

Retour en Page Accueil

Retour au fil des jours


Jean-Pierre BOCQUET
Professeur de Lettres retraité
Conseiller municipal
13 allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel: 03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96