Au fil des jours…
Mardi 7 avril. Nuances… Nuances
du ciel laiteux, plombé vers l’ouest. Une fois encore, la barrière
pyrénéenne retient les nuages, qu’ils remontent d’Espagne,
dévalent d’Irlande ou se lèvent de l’Atlantique. Ils débordent
parfois jusqu’à Perpignan. De Narbonne à Sète au contraire,
le ciel est souvent plus clément. La poisse reprend à Montpellier
que n’épargnent guère les fameux phénomènes
cévenols.
Alors, quand la météo
nous annonce que les pluies pourraient être plus soutenues en Languedoc
Roussillon, elle ne finasse guère : elle est aussi ample que les
gestes de ses présentateurs qui englobent dans une belle générosité
Dunkerque et Strasbourg dans ce qu’ils appellent l’Est de la France et
n’hésitent guère à découper notre Pays en cinq
quarts.
Pour autant, ils ne sont pas péremptoires.
Ils n’oublient jamais qu’ils ne donnent que des prévisions, même
si les symboles de leurs animations – notamment sur France 3 – métamorphosent
un régime de bruine en ciel diluvien. Ils ne sont pas péremptoires
mais infiniment précautionneux dans le commentaire. Ils multiplient
les nuances inaperçues du péquin ordinaire qui ne gobe que
la carte, les animations, les toilettes parfois affriolantes des présentatrices,
les sourires entendus ou les lamentations de circonstance, l’incontournable
évidence des couleurs et des effets d’annonce…
Ainsi pour aujourd’hui : les pluies
pourraient être plus soutenues dans la partie sud de la perturbation,
notamment en Languedoc Roussillon. Vais-je protester parce qu’en matière
de pluies soutenues je n’ai eu que quelques gouttes ? On me renverra au
« pourraient » qui impliquaient qu’elles ne le seraient pas
nécessairement. Mais l’arme défensive l’est tous azimuts
: à supposer que j’eusse essuyé des draches inhabituelles,
on aurait rétorqué à mes récriminations que
les pluies « soutenues » étaient prévues, d’ailleurs
« plus » que moins pour ma pomme, et que « pourraient
» incluait nettement cette possibilité… Et malheur à
celui qui, plus au nord, a cru que la perturbation ne serait que de faible
activité dans sa région ! En cas de traînées
de pluie à n’en plus finir, l’adjectif « soutenues »
anticipait l’objection. Qu’il s’en prenne à lui-même et écoute
d’une oreille plus attentive la prochaine fois !
La météo a donc toujours
raison, comme le chef. Elle produit simplement des énoncés
polyvalents et polysémiques, d’une syntaxe pernicieuse, jamais pris
en défaut : c’est l’oracle de Delphes de la civilisation urbaine.
Les vieux marins savaient lire le ciel et ses pieds de vent, sonder la
houle et ses amplitudes, observer les vols migratoires des grues et des
bécasses pour mieux caboter… Les vieux paysans tiraient moult
indications de la rosée matinale… Mais nous ? Le nez collé
aux prévisions des acolytes des offices de tourisme et autres vendeurs
de loisirs, nous prenons leurs vessies pour des lanternes en toute bonne
foi.
Car si nous le faisions de mauvaise
foi, nous ferions de la politique. Souvenons-nous : le bout du tunnel entraperçu
; la belle affaire ! La belle affaire que cette nuance d’une vie meilleure
qui se profile quand le véhicule est en panne au milieu du tunnel
! Souvenons-nous des embellies promises par le gouvernement Mauroy, des
métaphores presse-boutons sur les feux tricolores pour anesthésier
le « peuple de gauche » (comme s’il y avait deux types
de Français !)… Souvenons-nous des discussions byzantines sur la
nuance entre la rigueur et l’austérité… Souvenons-nous de
la chasse au Rocard à coups de phrases amputées du genre
« La France ne peut pas accueillir toute la misère du Monde
»… Quant à la part de la misère du Monde que le Michel
en question demandait que la France prît en compte, il n’en fut jamais
médiatiquement question : un dieu élyséen avait cimenté
l’union sacrée de ses escouades serviles et des ambitieux du camp
adverse pour prendre aux rets l’ancien scout et lui taillader savamment
les jarrets… Il est vrai que Rocard –dont le nom scout signifiait à
peu près « écureuil avisé » - pratiquait
la chasse aux archaïsmes et ne manquait jamais une occasion de dire
ce qui devait être dit… Bref, il dérangeait. Pensez donc !
que quelqu’un puisse dénoncer ce qui a tort dans le train-train
quotidien, veuille réformer, voire tordre le cou à la misère,
voilà qui risquait de malmener les cénacles de parasites
et leurs fonds de commerce… On l’a donc abattu sans nuances.
Et ces derniers temps on recommence.
Qui pourrait croire en effet que les silences unanimes de certains journalistes,
conseillers en communications, linguistes et intellectuels en politique
sur le sens de certaines nuances soit innocent ? Je m’explique : quand
le Président de la république déclare que «
l’Homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire »,
il sous-entend et présuppose que l’Homme africain en question y
est donc entré et l’exhorte tout bonnement à aller de l’avant
en ce sens. Où est le jugement négatif en la circonstance
? Assez vient en effet du latin ad satis qui signifie «
complètement, tout à fait ». Les contempteurs prétendument
avisés de notre Président auraient dû consulter un
bon dictionnaire à ce sujet et sans doute se satisfaire des
explications proposées plutôt que de donner péremptoires
dans l’A.B.C. de l’antisarkozysme primaire… À moins qu’ils ne soient
que d’imbéciles vers de terre auxquels les repentances guignolesques
de la mante religieuse échevelée ont coupé les pattes.
D’autant plus que la mante religieuse
croque les propos d’autrui sans nuances. Ainsi, « n’est pas assez
» devient dans sa voix stridulante « n’est pas encore
». Autrement dit, et sans vergogne, elle fait dire à «
quelqu’un » le contraire de ce qu’il a dit. Apparemment, cela n’a
pas gêné Martine qui s’est crue adroite en renchérissant
ni Vincent Peillon, notre agrégé philosophe pourtant aguerri
au maniement des concepts. Quant à Laurent, bardé de son
agrégation de lettres et d’une longue habitude des subtilités
sémantiques, il en est resté coi. Pauvre France ! qu’as-tu
fait de tes lettrés ?
En ce 7 avril, les atermoiements
de la météo et les inepties de Ségolène m’incitent
à la méditation sur l’Histoire. Avec l’entrée dans
l’Histoire, fini le mythe de l’éternel retour qui nous soumet au
cycle immuable des saisons et des forces qui nous dominent, à la
fatalité d’un cosmos immobile. L’Homme occidental est censé
être totalement entré dans l’Histoire : il se prend en charge,
s’assume totalement, croit au progrès et à l’avenir, etc.
Le christianisme est par essence une religion de l’Histoire… Quand je gratte
correctement les méandres poussiéreux de ma pensée,
m’apparaît néanmoins cette évidence : l’Homme occidental
continue à s’accrocher de toutes ses fibres au mythe de l’éternel
retour. Non pas pour composer magiquement avec les calamités (et
quelle qu’en soit l’origine) mais parce que son calendrier reste rituel,
parce qu’il pense que chaque jour sera indéfiniment suivi d’autres
jours et que les roses refleuriront toujours.
Finalement, aux nuances culturelles
près, tous les hommes sont fondamentalement frères, si ce
n’est le refus naïf des Occidentaux du lien irréfragable entre
la vie et la mort…
J’ai quelques livres au mobile-home
: ils m’aident à lutter contre les brumes de l’esprit, moins passagères
que celles qui décorent le ciel à l’occasion. Et puisque
mon frère africain Cheikh Hamidou Kane me tend L’aventure
ambiguë, je vais « entrer » dans sa lecture, méditer
toutes les nuances d’un itinéraire spirituel où chacun, à
l’instar du héros peule, est amené à ce carrefour
où il doit s’enrichir de ses propres différences pour mieux
tendre vers l’Universel.
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Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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