le 09/04/2009 - JP BOCQUET
Au fil des jours…
 
 
 
 












Jeudi 9 avril. Petite balade pédestre le long du canal du Midi, à proximité de Portiragnes. Le chemin goudronné, ancien lé de halage des péniches, est interdit à la circulation automobile. L’été, à heure matinale identique, il serait  surchargé de groupes de vacanciers s’essayant  au VTT en famille ou entre amis. Les guidons hésitants et l’indiscipline aléatoire des engins que ceux qui les ont enfourchés pour le meilleur et pour le pire ne maîtrisent plus disent combien juillet-août sont des mois chauds, même sur des berges reposantes…
Mais nous sommes en avril et le paysage s’offre à nous, vierge d’importuns criailleurs. En contrebas, s’étendent les marais herbeux baignés d’eau  et de longs chapelets de délicates fleurs blanches. Aujourd’hui, le soleil y dépose un éclat salin et satiné, d’oblongues langues alanguies aux miroitements de silice et de cristal qui s’étioleront jour après jour pour s’absorber dans les terres croûteuses et craquelées de l’été, taries et grillées. Des touffes de joncs et de roseaux, des bouquets d’iris bleus dessinent le discret labyrinthe d’un espace qu’encadrent l’azur tendre du ciel et les lignes de peupliers dans le lointain.
Dans cette survivance saisonnière du milieu palustre, faune et flore sauvages accueillent les animaux domestiqués par l’homme. Á quelques dizaines de mètres de nous, un cheval patauge nonchalamment dans l’eau saumâtre, broutant au rythme de sa marche  des feuilles humides et tendres. L’encolure dardée des rayons du soleil et les naseaux imbibés de fragrances et d’odeur de boue, la langue avide de verdure et de racines gorgées de sève et d’eau, marquetant des pieds et des dents la terre nourricière et s’offrant à la légère brise printanière, il focalise les quatre éléments en une concrétion insolite et mobile, vivante alchimie de la beauté de la nature.
Entre ses pattes, une aigrette ou un héron pique-bœuf – j’inclinerais pour le héron, vu la coloration jaune du bec – le suit comme son ombre, dégustant sans doute consciencieusement les proies qu’il « lève » en martelant le sol mais qui échappent à nos regards. Délicate image d’harmonie, de symbiose et de paix, d’alliance d’un autre âge, image du paradis un instant ressuscité. L’envie nous prend d’aller caresser l’animal, de violer le territoire interdit, de profaner ce temple de l’insouciance pour en posséder à jamais le secret. Mais une épaisse haie de ronces et de mûres nous en sépare. Les animaux le savent et le sentent, totalement étrangers à nos fantasmes et totalement dociles aux zooms de nos caméras et appareils photos qu’aucune haie n’arrête et qui les métamorphoseront en souvenirs.
De l’autre côté du marais, bien à l’abri de tout caprice humain et de tout voyeurisme, quelques flamants découpent leurs silhouettes biscornues et filiformes sur les reflets changeants du flot ténu d’une anodine marée montante dont les courants se mêlent à ceux des débordements du canal. Et puis, là-bas, des dizaines d’excroissances brunes émaillent la plaine : c’est la manade…
Le canal dont les berges s’éboulent par endroits, écoule en direction des écluses ses eaux limoneuses, chargées des terres argileuses ravinées par les pluies, ses eaux indolentes qui frissonnent à peine au passage des bateaux dévolus aux champêtres croisières.
On en oublierait presque le monde effervescent et torturé que nous inocule comme autant de nuisances l’imagerie des médias. Seul un molosse qui jappe agressivement à notre passage est signe de menace. Mais à l’image de la vieille bâtisse qu’il protège, bâtisse de roche volcanique où vivote une famille ordinaire dont les enfants s’ébattent sur une pelouse approximative et mal grillagée, il ajoute au pittoresque des lieux. Nous feignons de l’ignorer et il finit par se taire…
Mais derrière tant de calme, de bonheur tranquille et d’apparente insouciance, il y a la main de l’homme, invisible mais séculaire, attentive et patiente, persévérante à l’extrême. Ce fragile équilibre d’un paradis possible mais sans cesse compromis, c’est à elle qu’on le doit, aux efforts inlassables consentis par la chaîne d’union des volontés et des solidarités de voisinage depuis des lustres…
Qu’une tornade survienne, que la tramontane se déchaîne et chacun, là où il est, là où il vit, là où l’exige son travail, là où l’appellent ses responsabilités, roulera sa pierre, son ballot, son fardeau pour reconstruire le puzzle en Sisyphe  improvisé… Je rends grâce à la sagacité de mes frères humains de protéger cette œuvre d’art vivante de la folie des spéculateurs et des marteaux des commissaires priseurs tant que le vent de la liberté guidera leurs contraintes. 
 
 
 
 
 
Poisson 01/04/09
L'Aquila 06/04/09
Nuances 07/04/0
TGV 08/04/09
Insouciance 09/04/09
 Couronnes d'épines 14/04/09
 
 
 
 
 
 
 
   

 
 
 

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Jean-Pierre BOCQUET
Professeur de Lettres retraité
Conseiller municipal
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jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel: 03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96