le 08/08/2011 - JP BOCQUET |
Au fil des jours…
Lundi 8 août 2011.
Les agences de notation dégradent les économies, on nous
exhibe déjà de nouveaux modèles de ceintures à
crans supplémentaires pour anorexies vertueuses et citoyennes, les
bourses s’affolent, les Chinois nous tancent et les banques centrales décaissent
pour racheter les dettes.
Pendant ce temps-là – et
malgré la crise météorologique en surimpression de
la crise financière -, tout va pour le mieux dans le meilleur des
mondes pour les aoûtiens en vacances. Le soleil les précipite
vers la bronzette, sur les plages, au bord des piscines, à pied,
à cheval et à vélo le long des routes et des sentiers
de randonnée. Les marchés-paysans font recette, en pléthore
de prétendus produits du terroir – de préférence bio
puisque c’est tendance – et de prétendus connaisseurs des produits
en question… C’est un peu à la hausse sur ces marchés-là,
histoire de mieux vider les poches de ceux qui oublient de compter quelques
jours ou quelques semaines durant. De toute façon, le consommateur
sait depuis toujours que le verbe trinquer est polysémique. Aussi
trinque-t-il entre amis à l’apéritif, trinque-t-il pour se
nourrir et se loger, pour faire le plein du réservoir, passer à
la caisse ou payer l’impôt, trinque-t-il pour toutes les hausses
présentes et à venir, trinque-t-il et trinquera-t-il encore
quand les marchés boursiers baissent et baisseront à nouveau.
Trinquer est devenu une raison de vivre et d’espérer…
Oh ! je sais ; le ciel peut se
couvrir et la pluie menacer. Ce caprice précipite alors nos aoûtiens
dans les restos et les bâtisses historiques. J’en faisais l’expérience
hier, en visitant l’abbaye de Valmagne qui s’adjoint désormais une
taverne, une salle de dégustation et, jouxtant cette dernière,
une salle de vente où nos aoûtiens qui trinquent préfèrent
se procurer des cartons de vin monacal que des ouvrages sur les traditions
et l’histoire du coin. Qu’on y mette Dieu en carafe, et peut-être
l’achèteraient-ils.
J’avais visité cette abbaye
voici douze ans mais, ma passion du vélo, le parcours du tour de
France 2011 et ma secrète prédilection pour les vieilles
pierres m’y poussaient derechef…
Eh bien ! malgré l’hérésie
mercantile qui saisit son enceinte et le commentaire stéréotypé
de la jeune guide qui récitait sa leçon apprise par cœur
en la ponctuant de « voilà », le regard absorbé
par son invariable CD mnémonique cérébral, les érections
médiévales ont opéré comme il y a quinze ans.
L’église gothique est grandiose,
digne de nos plus belles cathédrales, grandiose et mainte fois mutilée…
Le cloître qui enserre désormais des boqueteaux de bambous
élancés incite à la zen attitude, indéchiffrable
palimpseste d’élans mystiques et de méditations métaphysiques
séculaires. Même un athée stupide ou un libertin irréligieux
trouveraient ici leur compte, du moins autant que ces frères convers
dévolus aux tâches domestiques et réduits au silence.
La salle capitulaire, réservée au seul chapitre, leur était
interdite. De là à dire qu’ils n’avaient pas voix (et pas
voie ?) au chapitre, il n’y avait qu’un pas qu’ils se gardaient bien d’amorcer
mais que la sagesse populaire (sans commune mesure avec les très
sages voix et voies chapitrales) s’empressa d’immortaliser.
Le plus pittoresque, c’est que
l’abbaye soit devenue domaine viticole assez anciennement, peut-être
sous l’influence de trois messes basses et de l’élixir d’un ancêtre
du frère Gaucher… D’immenses foudres occupent donc les chapelles
latérales de l’église, les vidant de leurs saints au profit
du seul Bacchus. Ces foudres divins nous narguent de leurs exigus trous
d’homme où des frères lais exemptés de ripaille arrivaient
à s’introduire avant d’activer leurs maigrelets corps aux opérations
de nettoyage. Ils profitaient ainsi un peu des vapeurs de vin, cette fameuse
part des anges invisible en plein air mais qui a peu à peu patiné
les murs de l’église d’un noir désir. C’était le RSA
de l’époque.
Nul besoin d’être des foudres
de guerre pour s’abreuver du jus de ces foudres, même divins, d’en
incorporer l’esprit comme Noé, de s’enlacer ainsi de treille pour
s’élever jusqu’à Dieu qui garantit tous azimuts l’ensoleillement
de la vigne par la rotondité de la terre. Et même quand la
coupe déborde de Lacrima Christi, il n’y a pas de quoi s’attirer
les foudres divines…
Un jour sans doute, le dieu du
fric et ses vestales – les agences de notation – envahiront les lieux,
briseront les foudres comme les idoles, encombreront les chapelles, le
cloître et les annexes de leurs écrans, éclabousseront
la pierre de leur propres foudres divines, profanant cet antre de paix
des éclairs et des zébrures de sataniques secousses boursières.
Après les pestes antiques, la grande peste de Londres, la peste
brune de sinistre mémoire et les pestes larvées qui gangrènent
encore le monde, voici que la peste invisible s’avance, dans l’impuissance
et l’impuiscience de ceux qui nous gouvernent qui crient haro sur le baudet
comme les animaux de La Fontaine. Plus de maladreries ni d’incendie purificateur
cette-fois ; que des foules exsangues sous la bise glaciale d’une Sibérie
monétaire. Moloch est là, qui veille et vampirise, enchaînant
les millions d’esclaves d’un système démoniaque, jetant à
l’invisible brasier les générations montantes...
Et déjà, en ce mois
d’août à peine commencé, le chant des cigales a déserté
mes circuits vélocipédiques. Même l’illusion de l’été
n’a plus cours, malgré les automatismes et les tropismes du moment.
Moloch est là, aseptisé,
tout souriant dans son armure de chevalier blanc, enchaînant sans
douleur, brûlant sans douleur, prodigue en baisers meurtriers, tapi
dans l’ombre le temps de notre récréation estivale. Moloch
est là, polymorphe et spécialiste en récupération.
Il prospère face à l’insignifiance des dieux ordinaires.
Mais çà et là ses scrofules apparaissent, comme en
Norvège récemment, et l’éventualité d’une grande
peste électorale le fait déjà ricaner…
Retour
en Page Accueil
Retour
au fil des jours
Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
|
|
|