Au fil des jours…
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Samedi 29 août. Ça
y est : c’est la rentrée… Il est impossible de l’ignorer, tant les
medias ressassent cette évidence calendaire avec la même fièvre
et la même obstination que s’il s’agissait d’une anachronique prophétie
de Nostradamus.
Ici, une tramontane de circonstance
aère l’atmosphère après les excès des semaines
précédentes, excès tout relatifs qui n’ont pas autant
affolé le thermomètre qu’en 2003. Le ciel quant à
lui est invariablement bleu.
Il suffit souvent d’observer pâturages
et talus qui bordent les routes pour savoir si une région est humide
ou ensoleillée… Eh bien ! dans l’Hérault (et particulièrement
sur le littoral), l’herbe est rousse ou a disparu. Vingt fois en vain on
nous a promis la pluie cet été ; vingt fois elle a joué
les belles endormies, alanguie en nuées lourdes et voluptueuses
sur les Pyrénées et le Massif Central, somnolant sur les
crêtes et les vallées lointaines, laissant contempler des
galbes volumineux et des traînées fécondes où
germaient des orgasmes réservés à d’autres… Ici, c’était
plutôt le coït ininterrompu du soleil et du raisin, du raisin
si sucré que son jus colle à l’asphalte surchauffé
quand il s’écoule des tombereaux incontinents des luxuriantes vendanges.
Les pneus de mon vélo ne résistent guère à
ce musc de la vigne.
Mais désormais c’est la
rentrée et, par décret providentiel du Grand-Maître
Éclusier, nous serons tous copieusement arrosés dès
mardi, où que nous soyons… Rentrée pluvieuse, rentrée
studieuse, au grand dam des élèves pleurnichards.
Oh ! les élèves ne
sont pas les seuls à rentrer. C’est aussi la rentrée de la
bulle politico-médiatique, ses universités de rentrée
en tout genre, la rentrée littéraire et les arnaques de sa
pompe à fric, la rentrée sociale avec son cortège
de licenciements secs pour compenser les liquidités accordées
aux traders si généreusement arrosés. Par une curieuse
ironie de vocabulaire, les licenciements secs correspondent d’ailleurs
à des entreprises en liquidation.
Nous allons donc rentrer dans nos
demeures, nos écoles, nos entreprises, nos habitudes formatées
et nos froides ténèbres comme les escargots rentrent dans
leurs coquilles. Et, une fois rentrés, nous rentrerons les provisions
pour l’hiver : le bois ou le fioul, le vin des foires aux vins ; nous rentrerons
aussi les plantes, les récoltes, que sais-je encore ? Pendant neuf
mois, notre vie sera rythmée par ce verbe, ponctuée de mille
rentrées, larvée d’angoisses, de colères et de révoltes
quand –par rapport à nos attentes – l’un de nos proches ne sera
pas rentré à l’heure…
Voilà pourquoi je préfère
infiniment le mot « sortie » qui pourrait avantageusement remplacer
le mot « rentrée » dans la plupart des cas et nous donner
une autre image de la vie. C’est bien entendu une question de point de
vue.
Car enfin, je suis un jour sorti
du ventre de ma mère ; le loup de La Fontaine guette sa pitance
au sortir des rigueurs de l’hiver, c’est à la sortie de l’aéroport
ou de l’autoroute que me cueillent les délices d’un séjour,
d’une rencontre ou d’un paysage… et c’est bien parce que je suis sorti
avec Anny un jour qu’on a pu en conclure à l’époque que nous
partagions moult atomes crochus et que nous n’avions pas besoin de sortir
de la cuisse de Jupiter pour être l’élu de l’autre et réciproquement…
Et s’il fallait me chercher, on
me trouverait plutôt du côté des sorties fantasques
et salutaires tous azimuts que dans l’insidieux sillon de la pensée
unique et des formatages du moment qui m’obligeraient à rentrer
dans le rang jour et nuit en dépit que j’en aie…
Mais qui sait : cette dialectique
langagière de la rentrée et de la sortie peut accoucher d’une
espérance… Imaginons un instant que cette rentrée de septembre
ait pour jumelle la sortie de crise. Il suffit parfois de l’effort de chacun,
si petit soit-il, pour changer le monde et métamorphoser les apparences
contradictoires en harmonieuses complémentarités…
Ne me prenez pas pour un doux rêveur.
Ce matin, si j’avais renoncé aux derniers coups de pédale,
docile à la pression du vent et servile à ses rafales, je
n’aurais pas découvert l’intense beauté de l’Étang
de Vendres à marée haute. Borges prétend d’ailleurs
qu’il suffit de déplacer une seule poignée de sable
pour changer le désert… ce qui veut dire que même dans l’environnement
le plus hostile, rien n’est pire que le renoncement…
J’arrête là pour aujourd’hui
; je vais sortir : la vie m’appelle.
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Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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