le 23/03/2011 - JP BOCQUET
Au fil des jours…


 
 Mercredi 23 mars 2011. À peine né, le printemps saigne déjà. Du sang des innocents versé par les tyrans et les pervers certes. La cruauté n’a ni bornes ni saisons, ni solstices ni équinoxes. Peut-être des pics lunaires. Mais avec elle, seul le pire est certain.
J’espérais cependant l’antidote du printemps des poètes. Ce que j’ai lu dans mon quotidien du matin à propos du procès Pierre Perret ravive au contraire la blessure. Gros titre à la Une, article et photos, tout y est pour accrocher le regard et remuer le couteau dans la plaie.
Me fiant à l’origine du mot, je persiste à croire que la poésie est création, que les poètes sont les forgerons du Verbe. Mode d’exploration par un usage particulier du langage de l’univers où nous baignons et de ceux qui nous habitent, sans oublier tous les possibles qu’elle crée par ses rapprochements inattendus, la poésie est libération.
Je l’aurais aussi imaginée ouverture et tolérance, acte d’amour et d’accès à l’inatteignable. J’en doute désormais.
Qu’un procès puisse agiter dans le cornet à dés des noms enchanteurs, ceux de Brassens, Lorca, Léautaud, Béart, Perret, les associer à de sordides bisbilles à propos de mensonges et de plagiat me consterne. Il n’est plus question ici de création mais d’atroces jeux de quilles où des ego surdimensionnés et l’amour-propre qui se propose toujours quelque chose à gagner, même dans l’amitié la plus désintéressée (je plagie ici La Rochefoucauld) triomphent. On s’entredéchire sur ce qui a été dit comme sur ce qui ne l’a pas été, les vivants parlant aux vivants, les vivants faisant parler les morts et les morts les vivants, comme les Français parlaient aux Français en temps de barbarie. On évoque même une histoire de cuisses et de truites vives ou effrayées. Dérisoire ! Qu’on laisse donc les truites et les cuisses en paix en espérant qu’elles puissent résister longtemps encore aux nuages radioactifs de la pétaudière des hommes.
L’homme est un être de langage, et parler c’est mentir d’une façon ou d’une autre, puisque les mots ne sont pas les choses mais que, sans les mots pour les dire, les choses ne nous sont pas accessibles. Il ne suffit pas d’éructer ni d’aboyer pour être un homme, même bruyamment. C’est ce que ne cessait de rappeler notre maître Capello, gardien sourcilleux et récréatif du trésor de la langue. On l’a parfois décrié, moqué, par ignorance ou jalousie sans doute…

Le baise d'Eve, par Etienne (photographié à Megève, mars 2011)
Le langage se prête à tout. On peut jouer avec le langage, ruser, mentir, abuser et s’abuser, dominer ou implorer, piper les mots, inciter aux pires excès ou exciter les haines, plagier les autres. Le langage aussi a ses faussaires. Paul Éluard, amoureux et surréaliste fervent, croyait échapper à ces effets pervers quand il écrivait :
«La terre est bleue comme une orange »
« Jamais une erreur les mots ne mentent pas »
« Ils ne vous donnent plus à chanter »
« Au tour des baisers de s’entendre… »
Comme les mots hélas, le baiser peut mentir ! Hypocrite baiser de Judas qui envoie à la mort, hypocrite baiser d’amour fraternelle du renard de la fable, hypocrites baisers de fidélité de tous les séducteurs, hypocrites accolades des frères ennemis de nombres de contrats ou de traités… Hypocrite et mortel baiser de Kadhafi à son peuple.
Que les mots puissent orienter, polluer, encombrer le regard et lui voiler la vérité, soit ! Que les baisers puissent être fielleux ou mortels, soit !
Je ne confondrai pas pour autant le plagiaire et le plagiste, le baiser de Satan et celui de la vague sur le sable. Et j’irai demain soir sur une plage du septentrion, celle de Bray-Dunes, commémorer avec d’autres le baiser évoqué naguère par notre tendre Alain Souchon. Ce baiser léger, volé, furtif et sans un mot, ce baiser que tant d’amants innocents et débutants ont concédé, gagnés par l’indulgence des lieux et du ciel, engagés par leurs premiers serments (encore un plagiat, de La Fontaine cette fois) me rend à mon optimisme foncier. Il y a toujours plus de place en l’homme pour la beauté que pour la laideur.
Au Salon du Livre de Paris, j’ai écouté le chant d’une jeune Tunisienne qui s’accompagnait à la guitare. Je l’ai reçu comme un baiser. Baiser partagé par tous ceux qui l’écoutaient. Il m’a à ce point « augmenté » que je plains encore plus les baigneurs imprudents qui ne voient pas que le baiser sournois d’une prénommée Marine est en fait un baiser de Méduse… en espérant qu’il ne soit pas le baiser du vampire.

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Jean-Pierre BOCQUET
Professeur de Lettres retraité
Conseiller municipal
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