le 05/03/2010 - JP BOCQUET
Au fil des jours…














          Vendredi 5 mars.  L’exponentielle période des festivités carnavalesques dunkerquoises tire à sa fin sous l’indifférente statue de Jean Bart, témoin muet –et d’ailleurs sourd et aveugle- de liesses dont il n’a cure depuis des siècles malgré le poing levé d’un bras tutélaire étranger à toute vindicte révolutionnaire.
Mais, de même que ce sont peut-être les hommes qui ont créé des dieux à leur image, ce sont sans doute les Dunkerquois qui ont élevé au rang de saint protecteur et de héros patriote un corsaire certes émérite mais surtout épris de butins.
Toujours est-il que les enfants de Jean Bart, fameux gaillards et sacrés braillards comme chacun sait, se sont égosillés de bande en bande et de bal en bal, s’abreuvant de pintes et de harengs, tanguant aux roulements de tambours, chaloupant au rythme des fifres, fraternisant des pieds, des corps et des mains au carrousel des rigodons sous des forêts de parapluies. Des gredins ont cru innover en y ajoutant quelques battes…
Á chacun ses héros, à chacun ses défilés, à chacun ses inversions. Bacchanales, saturnales, fêtes des fous, carnavals… Á chacun sa grand - place où la statue se laisse admirer, orgueil momentané d’une foule oublieuse de ses mesquines lâchetés ordinaires sous les outrances et les bizarreries des déguisements.
Dunkerque, Rio, Nice, Venise. Venise pour le bal s’habille… et rêve d’ostentation. Á m’habiller le regard des danseuses de samba de Rio, c’est moi qui rêve. Nice n’éveille que mon sens de l’asepsie. Dunkerque se doit d’éveiller mes cinq sens : je vois, je sens, je touche, je goûte et je hume dans l’outrance, même si de nos jours les femmes ne sont plus à la maison…. Bref, je suis un enfant de Jean Bart.
Venise aussi a son héros tutélaire, son ancestral défenseur, immortalisé par une impressionnante statue équestre devant les églises Saint-Jean et Saint-Paul. C’est le condottière Colleoni, à l’œil aussi farouche que celui de notre local héros éponyme. Le seul problème, c’est que les voyageurs français et belges de la Renaissance prononçaient « Coullon, Coyon, Coïon, Couillion », c’est-à-dire « couillon », sans doute encouragés à cette prononciation fautive par la représentation des armoiries de ce condottière sur le soubassement de la statue, armoiries sous la forme d’une magnifique paire de c…
Et comme les seigneurs vénitiens de l’époque revendiquaient l’épithète de « magnifiques », notre brave Du Bellay eut vite fait de baptiser les Vénitiens, « ces Couillons magnifiques ». Il faut en effet être un peu c… pour prétendre à la grandeur et vénérer les armes à si courte portée de ce braquemart.
Les enfants de Jean Bart quant à eux n’ont pas la prétention des seigneurs vénitiens, ils n’exhibent que des poitrines postiches et des harengs séchés. Á Chantal d’assumer ensuite… Qu’ils prêtent attention quand même ! Qu’ils regardent bien au pied de la statue du célèbre corsaire. On y trouve, comme autant d’armes surajoutées jour après jour dans de malodorantes armoiries composites, d’innombrables immondices canins, déjections certes inoffensives mais à développement durable et ô combien inesthétiques ! Il ne faudrait pas que ce phénomène devienne un trait culturel et un signe de reconnaissance, sinon, à l’instar de ces « Couillons magnifiques » de Vénitiens, on finirait bien par nous appeler les petits merdeux.
Nous avons quand même le sens des priorités. Notre période de festivités carnavalesques, indifférente à la misère des uns comme à la détresse des autres, aura relégué les revendications des salariés de Total à la rubrique anecdotes. On nous annonçait une descente en masse de toute la Région Nord-Pas-de-Calais pour manifester le 12 février. C’eût été une bande doublement extraordinaire, la marque d’une indiscutable prise de conscience et de solidarité. Réduits à eux-mêmes, les employés de la raffinerie auront pu dire : « Nous partîmes trois cents, mais par un prompt renfort, nous nous vîmes cent mille en arrivant au port. » Sauf que cent mille (mais là aussi les chiffres varient considérablement entre organisateurs et services de police), c’était le dimanche 14 et pour la bande de Dunkerque. Il faut croire que les homards mobilisent davantage que les fermetures de sites. En somme, tout le monde a compati, la main sur le cœur, des couillons magnifiques aux petits merdeux, mais l’éteignoir dans la tête.
Chacun pour soi et le carnaval pour tous. Á l’ère de la grande communication, comme c’est le carnaval toute l’année et que le monde marche à l’envers, faut-il s’étonner que les tenants de certaines formes de communication directe veuillent remplacer le berguenard par la batte de base-ball ? Montaigne prétendait déjà que tous nos emplois sont farcesques et La Fontaine que le monde, à l’instar de ses Fables, est une ample comédie à cent actes divers. Je ne citerai que pour mémoire la comédie humaine de Balzac. Mais, à l’ère de la grande communication, Montaigne, La Fontaine et Balzac partagent le sort des salariés de chez Total ; on veut bien en parler, les plaindre, y penser… et puis les oublier. Il ne faudrait surtout pas qu’ils viennent empêcher la grande machine à décerveler d’abreuver de jouissances la bête qui sommeille en nous et réclame son dû. Le reste relève de l’aléatoire et de l’épiphénomène.
Indifférence, quand tu nous tiens ! Il est superbe ton déguisement. Tu es vraiment la reine du carnaval ! Et le grand paradoxe de ce règne du simulacre c’est que, les sociétés carnavalesques étant aussi philanthropiques, l’indifférence des masses remplira quelque temps l’assiette de quelques démunis. Voilà pourquoi, au milieu de l’indifférence générale, je reste optimiste malgré tout…
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Femme 09/03/10
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Jean-Pierre BOCQUET
Professeur de Lettres retraité
Conseiller municipal
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