Au fil des jours…
Mardi 9 mars. J’ai failli perdre mon âme et ma voix dans le remake
de l’émission « Reine d’un jour » que nous resservent
les médias chaque année à l’occasion de la journée
de la femme. C’était hier. Je préfère en parler aujourd’hui.
C’est en effet aujourd’hui qu’a lieu la journée de la femme, identique
à chacune de ses journées, dans l’ingratitude du temps, des
hommes et des mentalités.
Femme. Quelle femme ? Celle qui
trône dénudée sur les panneaux publicitaires, dans
les magazines ou les spots télévisés pour inciter
à la consommation? Parce que la sensualité d’un parfum, d’un
arôme, d’un sordide café peut-être, nécessite
le soutien évaporé d’un vaporeux corps féminin? Une
sérieuse étude scientifique américaine conclut même
que les courbes féminines agiraient identiquement à la drogue
ou à l’alcool sur le cerveau masculin. C’est dire à quel
point les hommes sont restés des primates, pire même ; des
reptiliens que régissent le sexe et la mort, assoiffés de
pouvoir, dans la violence symbolique ou réelle.
Quelle femme ? Celle que l’homme
voile, bat ou viole en toute impunité ? Celle qu’il exhibe – légitime
ou en prime -, caparaçonnée de fourrure et de bijoux, comme
un signe extérieur de richesse ? Celle que la chanson voudrait libérée
même si ça n’est pas si facile ? Celle qu’on délègue
aux coins des rues pour faire la manche ou dans les conseils d’élus,
par quotas savamment pesés, calculés, bidouillés par
les mâles dominants ?
Quelle femme ? La femme du boulanger
ou bien du vidangeur ? L’amazone ? La guérillère ? La virago
? Celle qui se revendique ni pute ni soumise ? J’ai bien peur que partout
dans le monde, du cercle de famille à l’entreprise et du clan aux
organisations démocratiques les plus élaborées, les
hommes se liguent pour étouffer les prétentions de cette
dernière…
Loin de moi l’idée que la
femme serait un ange. Elle n’a rien à envier à l’homme en
matière d’atrocité, de sadisme, de goût immodéré
de la possession et du pouvoir. Elle en a tous les défauts, les
pleurs en plus. L’ambition, l’orgueil, la haine et la jalousie la malmènent
aussi. De cela, Molière, Racine et Louis-Ferdinand Céline
nous parlent. Et quand, décrivant la fraternité clanique
et de violence, Nietzsche clame « Et lorsque vous êtes quatre
qui se réunissent, il faut bien qu’il y ait quelque part un cinquième
qui meure ! », il pourrait étendre la formule à l’autre
partie de l’humanité dans l’allégresse.
Quelle femme ? L’égérie
? La courtisane ? La rombière toute en rondeurs ? La fée
du logis ? L’inspiratrice ? La Béatrice de Dante ? L’araignée
Ariane pour son fil à la patte ? La salvatrice ou la rédemptrice
? La mère dont je suis né sans pour autant avoir le privilège
d’être une opération du Saint-Esprit ? La femme savante ?
La blonde ? La Castafiore, cet hapax tintinogramme ? La femme à
barbe ?
J’arrête là cet inventaire
à la Prévert. J’aurais pu le prolonger par la femme surréaliste,
celle qui est l’avenir de l’homme, des yeux d’Elsa à Nadja, celle
des yeux fertiles, de Man Ray ou de Paul Eluard, celle que chantaient déjà
Ronsard, Nerval ou Baudelaire, la reine ou la fée. J’aurais pu ajouter
au tableau une petite touche de ce deuxième sexe de Simone de Beauvoir,
de la femme adultère de Brassens, mais chacun a le mont de Vénus
qu’il peut…
Il y a les femmes maudites et martyrisées,
celles de Sade et de Laclos, et leur envers pervers, la Merteuil. Il y
a leur avers, la pauvre Thérèse de Mauriac, que le poison
des convenances condamne à dépérir sous la naphtaline
des bonnes mœurs.
Il y a encore le filet à
provisions de Philippe Sollers ou Femmes est amputé de l’article,
comme si ce sexe qui vaut bien que nous le regrettions à en croire
La Fontaine n’avait aucune conscience ni identité, ni singularité
ni potentialités, et n’était que l’aléatoire déclinaison
d’une galerie de portraits où cent visages différents se
réduiraient au même mode d’emploi.
Femmes. Je pense à toi Myrto.
Je ne songeais pas à Rose… depuis, j’y pense toujours. Ah ! cette
vieille chanson du jeune temps. Cette mystique du rideau de ma voisine
! Faut-il s’agenouiller devant les femmes et leur offrir notre prière
? Victor Hugo y a toujours sacrifié, en phoenix culprit, en satyre
de l’île de Serk parcourant la lande en quête de nanas à
l’odeur de bergère…
Femmes. Femme. Quelle femme ? L’origine
du monde révélée par Courbet dans une lascivité
réaliste et salace?Celle-là même que planquait le chiasmatique
Lacan au paravent de ses fantasmes et pour l’œil torve et aguerri des seuls
initiés.
S’il me fallait enfin célébrer
une femme,
Que ce soit la plus humble et la
presque oubliée ;
Qui sait ce qu’est souffrir et
qui tisse la trame
D’un rêve sans espoir, dans
l’hiver, esseulée.
Je pense à la migrante,
à Fantine édentée
Endurant la souillure pour sauver
sa Cosette ;
Je pense à l’orpheline à
dix ans violée
Par le père ou l’aïeul
sur le coin de la couette.
Je pense à l’innocente en
dette de bonheur
Qu’un mâle incestueux avilit
sans vergogne
La blessant à jamais dans
la chair et le cœur
Et sans même un remords sur
sa sinistre trogne.
Chaque homme est un Cenci qui piétine
et ravage
Au lieu de respecter celle qui
fut première,
Qui lui offrit la vie et l’amour
en partage
Et dont les yeux vieillis se nimbent
de lumière…
La femme. Quelle femme ? Elle restera
pour l’homme un point d’interrogation tant qu’il refusera de se poser les
bonnes questions…
Je pense en ce 9 mars à
toutes ces femmes que la fermeture de la Raffinerie des Flandres va briser.
On a surtout parlé des hommes, comme souvent. Égoïstement…
Comme si l’homme pouvait s’en tirer en leur accordant une journée
comme il y a les journées du patrimoine. Ma femme est trop con pour
ceci ou cela disait l’autre. Et lui donc !
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au fil des jours
Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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