Au fil des jours…
Mercredi 17 mars. J’ai cru pendant longtemps que quiconque s’intéressait
à la chose publique maîtrisait le vocabulaire de base. Être
délégué syndical ou politique implique au moins d’analyser
le discours et les écrits de ceux que vous soutenez ou de ceux que
vous combattez.
Plus le temps passe et plus je
m’aperçois que je m’étais lourdement trompé. Je n’en
donnerai que deux exemples.
Il paraît (avec l’accent,
sinon c’est une figure d’escrimeur) que je recours parfois à des
mots trop savants pour le commun des mortels. Un tract politique devrait
se réduire en quelque sorte à une feuille vierge d’une couleur
particulière. Ainsi donc au printemps on voterait vert, rouge, jaune
ou bleu l’été, blanc en janvier, etc. Cette symbolique pour
analphabètes fut utilisée ailleurs et autrefois avec les
intentions et le succès que l’on sait. J’ai toujours pensé
quant à moi qu’une feuille vierge était destinée à
être aussi harmonieusement remplie qu’une femme du même acabit,
fût-ce du Verbe divin. J’ai tort ; on me l’a fait comprendre. Je
risque ainsi de « dévaluer » mes lecteurs potentiels
si j’en crois le commentaire éclairé que m’adressait naguère
un prétendu spécialiste de la communication politique. J’ai
depuis rayé « dévaloriser » de mon vocabulaire
et pleinement saisi comment l’on pouvait acheter des votes pour dix euros
puisque l’on réduit les hommes au rang des petits billets de nos
monnaies fluctuantes.
Tout dernièrement, j’ai
découvert par la voix outrecuidante d’un petit camarade qu’en matière
d’opérations électorales, les verbes « dépouiller
» et « scruter » étaient synonymes. On allait
« scruter », arrêter de « scruter », recommencer,
bref ouvrir les enveloppes et compter les bulletins. Ce soir-là,
j’ai donc « scruté » l’horizon en quête des bulletins
ailés des abstentionnistes dont mon petit camarade prétend
que ce sont ceux qui s’abstiennent de manger du pain électoral.
Je lui concède cette métaphore. Mais, pour le reste et jusqu’à
preuve du contraire, il y a des scrutateurs qui dépouillent le scrutin
en procédant au décompte des suffrages. Qu’ils en fassent
un examen minutieux et attentif pour en vérifier la régularité
et déceler les éventuelles anomalies, nul ne le conteste.
Pour autant, ils ne se prennent pas pour la sœur Anne et font bien le départ
entre scruter l’horizon ou le visage de l’autre et dépouiller un
scrutin.
Feu mon grand-père paternel
était un passionné de politique. Il avait appris à
lire et à écrire à l’école publique à
l’époque du sabot. Il s’avérait pourtant capable de rectifier
de lui-même dans les journaux les mots que maculaient les coquilles,
les fameuses coquilles des machines ou des typographes, sources de significations
fautives souvent cocasses. Et son époque valait amplement la nôtre.
J’ai beau en scruter scrupuleusement les ressorts sociaux et culturels,
je ne vois rien qui puisse « dévaloriser » ceux que
l’école y émancipa en les rendant capables de maîtriser
les mots des autres. Ils savaient résister à ces coquilles
de l’esprit qui dévalorisent tant de nos contemporains au point
de les « dévaluer » dans leur arrogance et leur forfanterie.
La savante ignorance, tel est l’oxymore prégnant du siècle
qui commence.
Car enfin, appliquons la coquille
à la coquille, collons-la lui dans le « Q », et nous
obtenons le mot le mieux référencé de la langue française,
le mot « couille ». Le mot est d’origine latine et désignait
un petit sac de cuir (pour y glisser la monnaie dévaluée
? ou les spermatozoïdes ramollis ?). Des couilles molles aux coquilles
vides de l’esprit, on finira bien dimanche prochain, ayant « scruté
» tout en étant « dévalués », par
l’avoir dans le c…
Mais comment s’étonner alors
si l’esprit civique se barre en coquilles ?
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au fil des jours
Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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