le 15/03/2010 - JP BOCQUET
Au fil des jours…















          Lundi 15 mars. J’ai dormi comme un forçat et sans la moindre trace consciente de mes rêves.
J’avais pourtant de bonnes raisons d’avoir un sommeil agité : plus de 50% d’abstention lors d’élections organisées à l’échelon national, c’est un sacré camouflet pour la démocratie et un déni de suffrage universel. Comment les citoyens d’un pays libre peuvent-ils à ce point mépriser et bouder un droit acquis au prix de tant de luttes, de souffrances et de morts par des aïeux qui voulaient leur construire un monde fait de dignité, de respect et d’émancipation ? Comment ont-ils pu se refuser à exercer un droit alors que ce droit que revendiquent tant de peuples opprimés leur est violemment refusé ? Comment ont-ils pu feindre d’oublier que ce droit est aussi le plus élémentaire des devoirs civiques ? Désintérêt ? Individualisme forcené ? Irresponsabilité chronique ? Sans doute. Peut-être.  Et peut-être s’en barbouillent-ils le pourtour anal à l’instar de Louis XV, pour parler comme Louis-Ferdinand Céline.
Les commentateurs semblent découvrir ce matin ce divorce inquiétant entre la classe politique et l’électeur. Le phénomène est pourtant ancien. Souvenons-nous du référendum à propos du quinquennat. Souvenons-nous de la victoire récurrente du parti des abstentionnistes aux Européennes depuis qu’elles existent. Souvenons-nous du taux d’abstention dans certaines villes aux dernières Municipales.
Disons-le sans ambages : nos élus, une fois élus, le seraient-ils par 5% seulement des inscrits, se satisferaient d’être élus, pour la place et la carrière, les prérogatives et les indemnités, les indécents chants de victoire, toutes élections et toutes tendances politiques confondues. Ils peuvent bien plaquer tous les discours qu’ils veulent sur cette vérité-là – parce qu’elle n’est pas belle à dire -, leurs discours ne changeront rien à l’affaire. Mais se pose alors la question de leur légitimité et de leur crédit ? Quels sont-ils ? Nuls.
Seule la prise en compte du vote blanc pourrait assainir le système. Imaginons un instant  qu’aux Régionales, le pourcentage de vote blanc réduise d’autant le nombre de conseillers régionaux élus voire invalide leur élection, vous verriez alors que d’autres critères présideraient à la constitution des listes que le seul souci des places réservées. Cette rupture qui en vaut bien d’autres remettrait les élus en phase avec l’opinion parce que, même s’ils l’oublient trop souvent, ils ne sont jamais que des délégués.
Je crois malheureusement  notre classe politique trop éprise de pouvoir pour prendre ce risque.
Pour m’endormir, ou quand l’insomnie me surprend la nuit, je me récite mes prières. Quelques fables de La Fontaine ou quelques poèmes de Baudelaire. J’y mets mentalement l’intonation, la scansion, le décompte des coupes et des pieds, j’y vérifie l’exactitude de ma mémoire. C’est plus efficace et plus poétique que de compter des moutons et je bêle un peu moins si je me mets à ronfler ensuite, gagné par les torpeurs du sommeil. Je sais aussi que le jour où les jeux dangereux de nos élus nous auront à nouveau menés aux dictatures du corps ou de l’esprit, on pourra bien me supprimer tous les livres et la liberté de mouvement, me claquemurer chez moi sous étroite surveillance ou dans une geôle, il me restera mes prières pour m’ouvrir au baiser du monde, au génie créatif de l’homme, aux chemins de la mémoire et à la suprématie de l’esprit sur le mot d’ordre ou le confort mesquin. Mes prières littéraires sont une assez belle métaphore de mon vote blanc dans la nuit noire des servitudes mentales. Car je ne me résoudrai jamais à penser qu’il suffit de ponctuer toutes ses phrases au vocabulaire débilitant de « lol » pour atteindre la liberté absolue de conscience… et je considère comme imposteurs ceux qui prétendent que l’on peut penser sans les mots ou que l’on peut pratiquer l’éviction du mot juste au profit d’un langage basique. Ces borgnes voudraient que les autres soient aveugles pour mieux les dominer et leur laisser croire que leur vision partisane et déformée est la grande lumière.
Je rejoins sur ce point Jean Ferrat : je fais acte de résistance à la pipolisation de l’esprit et du discours. D’où mes prières… Il est d’ailleurs curieux que depuis quelques semaines me reviennent en boucle comme une réminiscence, les couplets et le refrain de Nuit et Brouillard. Plus je me pénètre du chiasme du refrain (Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers […] Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent) et plus je comprends qu’il est l’expression même de toute la tragédie du génocide, de l’extermination et des camps de la mort.
Il est mort samedi, loin des agitations politiciennes, trop respectueux de ses semblables pour se prêter aux pitreries et aux escroqueries intellectuelles de l’ère de la « com ». Après tout, Hitler aussi était un spécialiste de la com. Mais je préfère mille fois accéder à la  beauté et à la vérité d’un chiasme incarné dans une chanson engagée de Jean Ferrat que de glisser peu à peu dans la masse des fanatiques du « lol » qui défilent sur Face Book devant leur invisible führer. Et c’est parce que je ne veux pas vivre à genoux que je me récite certaines prières. Si je leur dois la grâce d’être perméable à l’authenticité de frères humains comme Jean Ferrat, j’aurai glané ce bonheur-là, entre autres, dans le sursis toujours problématique de ma fragile existence.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Total(e) indifférence 05/03/10
Femme 09/03/10
Prières 15/03/10
 Coquilles 17/03/10
 Francophonie 26/03/10
 
 
 
 
 
   
 
   

 
 
 

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Jean-Pierre BOCQUET
Professeur de Lettres retraité
Conseiller municipal
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