le 14/01/2010 - JP BOCQUET
Au fil des jours…















            Jeudi 14 janvier. Après une petite piqûre de rappel de quelques centimètres d’une neige fine et collante, le froid vif semble nous quitter, momentanément repoussé en Scandinavie par une langue océane de grisaille poisseuse. L’air frisquet qui m’a cueilli ce matin quand, machinal, je suis allé quérir la Voix du Nord dans ma boîte, m’a cependant brisé net dans mon élan d’euphorie verbale qui se gargarisait déjà des sonorités du mot « redoux ». Me racler la gorge pour me racler la gorge, je m’arrêterai donc aux mots « rémission » ou « répit », la prochaine offensive du gel et de la neige étant programmée pour mardi, dixit la météo.
Les connotations de « rémission » et « répit » nous rappellent utilement – entre autres – que l’hiver est une maladie au long cours, avec ses hauts et ses bas, ses chutes et ses rechutes, qui entrera en phase de convalescence à l’équinoxe de printemps. Les Anciens avaient mille fois raison de fixer le début de l’année et la création du monde à cette équinoxe, le « printemps » étant fort logiquement le « premier » temps de l’année et celui qui l’ordonne. Mais, victimes du calendrier liturgique chrétien et plus malins que tous les autres, nous avons décidé d’anticiper le mouvement. Mal nous en prit ! Sinon, des esprits tordus ne chercheraient pas à compenser dès le 1er janvier la baisse du thermomètre par toute une série de hausses, dont celle des carburants. Quant au prétendu « réchauffement » climatique, si visible et si probant sur les tableaux et les courbes de nos experts, il n’a aucune incidence sur les degrés réels qu’affrontent tous ceux qui crèvent de froid l’hiver parce qu’ils n’ont pas les moyens de se chauffer, quand ils ne « crèvent » pas littéralement de chaud parce qu’un moyen de chauffage défectueux a embrasé leur bicoque ou leur cambuse. Sans compter ceux que le carbone asphyxie, par inhalation insidieuse de monoxyde, avant même que le Conseil Constitutionnel retoque quoi que ce soit. Notre bravissime Nicolas Hulot, si distingué dans ses vêtements isothermes dernier cri, si amoureux de la banquise en déroute et des salons huppés, si friand d’exotisme de bon aloi, sait-il seulement ce que signifie l’expression « joindre les deux bouts » ? Bref, brisons là sur ce sujet…
J’en reviens à mon quotidien la Voix du Nord. Comme chaque matin, à peine l’exemplaire retiré de la boîte, j’en examine la Une d’un œil un peu hypermétrope mais néanmoins attentif et averti. Je sais d’expérience en quoi les titres sont fallacieux, aussi racoleurs que des péripatéticiennes, aussi accrocheurs que des étiquettes ou des parfums : ils nourrissent les attentes et les préjugés de qui les lit ou les écoute. Une anecdote me revient en mémoire. J’avais décidé naguère de faire étudier à des élèves de première l’Éducation sentimentale de Flaubert, roman de quelque 600 pages qui, comme son titre ne l’indique pas, n’initie nullement à l’art du baiser ni de la drague mais plutôt aux illusions perdues, aux échecs, aux velléités, à une critique sans complaisance de la société et au byzantinisme de la description. Leur présenter le menu qui les attendait les eût découragés. Il y avait fort heureusement pour moi le titre. J’ai donc soumis au vote de la classe une liste de titres dont les autres étaient moins racoleurs et accrocheurs pour des élèves de 17 ans, qui plus est de classe scientifique. Ils ont majoritairement voté pour l’Éducation sentimentale et ont cru le faire démocratiquement. J’avais pourtant trompé leurs attentes… Je laisse à chacun le choix des conclusions à en tirer…
Alors, quand le gros titre de la Voix du Nord, qui s’étale à la Une comme le nez au milieu de la figure est : « Haïti, terre maudite », j’ai quelques inquiétudes sur les attentes et les préjugés sollicités.
Le verbe maudire (littéralement dire du mal) est un verbe du langage ecclésiastique qui condamne en appelant la malédiction divine. Il ya la malédiction comme il y a la bénédiction. Terre maudite ! Maudite par qui ? Dieu ? Les hommes ? Et pourquoi ? Pour quels péchés ? J’aurais préféré « terre éprouvée », et cruellement éprouvée, puisque le sang a coulé, un sang tout aussi pur que le vôtre ou le mien soit dit en passant.
Qu’un membre de la communauté haïtienne lilloise ait pu s’écrier (comme l’article le mentionne) « nous sommes un peuple maudit » en levant les yeux au ciel pour exprimer sa douleur, son impuissance et son désarroi, on le conçoit aisément. Mais que le quotidien en fasse son gros titre, et sans la précaution des guillemets, c’est beaucoup plus discutable. Dieu, à supposer qu’il existe, n’est pour rien dans ce cataclysme et n’a guère puni ni châtié le peuple haïtien. Que l’impéritie et l’imprévoyance des hommes en aient hélas aggravé les effets, il faut bien le constater et le déplorer. Comme le disait Sénèque, les hommes ont trop souvent tendance à charger Dieu de la garde de leur valise. Ici encore, autonomes, responsables et solidaires, conscients des moyens techniques préventifs à mettre en œuvre, soucieux d’agir en ce sens, les hommes eussent pu limiter le nombre de victimes.
Il faut croire que partout et toujours la folie de posséder nous pousse davantage que la volonté de secourir et de protéger.
Comme le dit l’article de la Voix du Nord, ce séisme est bien une « calamité ». La calamité était du temps des Romains, la destruction de la moisson sur pied, notamment par la grêle. Mais ici c’est la pire des calamités, car la moisson sur pied détruite ce n’est pas seulement des plantes et des immeubles, c’est surtout des hommes.
Tout cela pour nous rappeler que la nature ne se réduit pas aux fleurs ni à nos amis les bêtes qui nous attendrissent tant mais qu’elle est aussi lichens et moisissures, tsunamis et séismes, tornades et inondations, pluie de météorites, silence du désert… Et bien souvent, c’est elle qui a le dernier mot. Les effets de mode – la lutte contre le réchauffement climatique par exemple – ne devraient jamais occulter les autres combats à mener contre la planète Terre qui n’a rien d’une petite sœur docile. Ces combats-là mériteraient sans doute leur sommet de Copenhague au lieu d’aides émotionnelles au coup par coup. C’est bien de savoir (merci aux journalistes), c’est encore mieux de comprendre (merci aux experts) mais qu’attend-on pour agir avant plutôt que de compatir après ?
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Jean-Pierre BOCQUET
Professeur de Lettres retraité
Conseiller municipal
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