le 04/01/2010 - JP BOCQUET
Au fil des jours…














            Lundi 4 janvier. Je ne prends pas le clavier pour célébrer Anny dont c’est l’anniversaire. J’aurais pu le faire : elle aborde en effet son nouveau tour de piste sous le signe calendaire du chiasme et du miroir – 46/64 ou 64/46 au choix –, ce qui constitue à la fois l’apex et l’hapax de son existence. On notera d’ailleurs que 46/64 ou 64/46 (6+4 ou 4+6 = 10) pourraient se réduire « arithmologiquement » parlant à 10/10 : c’est ce qu’elle vaut et vaudra toujours pour moi…
Je prends le clavier pour évoquer la mémoire d’un écrivain qui m’est cher et qui disparaissait tragiquement voici cinquante ans. Je veux parler d’Albert Camus.
On serait bien inspiré de relire l’Étranger et d’en méditer la portée. Camus étranger parmi les siens, sur ce sol algérien où il a grandi, orphelin de père, boursier national et philosophiquement enclin à ce discours du monde que lui livrent ses sens, tel est cet homme libre. Cet homme libre et déchiré entre sa communauté de cœur, celle des Arabes, qui l’ignore et celle des Pieds-Noirs dont il ne saurait partager le colonialisme « innocent ».
Doublement étranger par conséquent, et même triplement quand, sous le régime de collaboration avec la peste brune développé par Pétain, la France n’est plus la France.
Étranger aux mots convenus de même qu’aux comportements hypocrites ou aux conformismes confortables, Albert Camus s’est donc toujours refusé à rechercher son identité d’homme dans l’ordre « bourgeois » - qu’il fût de droite ou de gauche – qui se nourrit de postures, de préjugés et de modes… Il ne croyait pas pour autant, comme Lévinas, que nous sommes tous étrangers sur cette terre, en attente d’un autre royaume. Il ajoutait même dans Noces que « le monde est beau, et hors de lui, point de salut ». Et dans son seul royaume, qui était de ce monde, « s’il y a un péché contre la vie, ce n’est peut-être pas tant d’en désespérer que d’espérer une autre vie […] ».
Quant à son identité nationale, il l’a mesurée en s’engageant dans la Résistance, puisque ce combat lui permettait de revendiquer les valeurs de l’Homme contre celles de la barbarie. Être un homme libre, ne jamais céder à la fascination du machinal, ne jamais renoncer, ne jamais rouler à l’immobilité, ne jamais s’embourber dans les strates des totalitarismes, tels furent les vecteurs éthiques de ce juste qui se voulait « ailleurs ».
Qu’on songe en effet au verbe « résister », du préfixe intensif « re » et de sistere, se tenir debout, se tenir ferme. Ce verbe désignait d’abord le fait de supporter les épreuves sans faiblesse. Ce verbe implique aussi de ne jamais se mentir.
Je revendique moi aussi cette définition de l’identité nationale, celle qui permet à des hommes différents mais solidaires de se retrouver dans leur détermination commune à résister à toutes les formes d’avilissement, à commencer par celles qui naissent de ses propres renoncements. Et peu importe alors qu’on soit de la rose ou bien du réséda…
Ce combat pour une certaine identité parcourt l’Histoire, d’Héraclite à La Fontaine, de La Fontaine à Victor Hugo et de Victor Hugo à Camus. C’est le combat de ceux qui pensent contre leur temps, chaque fois que leur temps pense contre l’homme.
Ce combat n’est pas simple, et Camus le savait car, comme la sienne, notre « tendance est de rouler à l’immobilité » et de nous agréger aux dormeurs. Évoquant ses années d’obstination dans ce combat, Camus concluait dans ses Carnets : « Mais je sais que je me tiens debout par cet effort même et que si je cessais un instant d’y croire je roulerais dans le précipice. »
Albert Camus faisait partie de ceux qui dérangent. Eh bien ! soyons nous aussi de ceux qui dérangent…
J’en reviens pour terminer à Anny. Je pense que s’il l’avait connue, Camus aurait révisé son jugement sur les femmes. Il n’aurait pas écrit : « La femme, hors de l’amour, est ennuyeuse. Elle ne sait pas. Il faut vivre avec l’une et se taire. Ou coucher avec toutes et faire. Le plus important est ailleurs. »Car avec mon 64/46 je puis en même temps être ici et ailleurs.
 
 
 
 
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Jean-Pierre BOCQUET
Professeur de Lettres retraité
Conseiller municipal
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