Au fil des jours…
Lundi 4 janvier. Je ne prends pas le clavier pour célébrer
Anny dont c’est l’anniversaire. J’aurais pu le faire : elle aborde en effet
son nouveau tour de piste sous le signe calendaire du chiasme et du miroir
– 46/64 ou 64/46 au choix –, ce qui constitue à la fois l’apex et
l’hapax de son existence. On notera d’ailleurs que 46/64 ou 64/46 (6+4
ou 4+6 = 10) pourraient se réduire « arithmologiquement »
parlant à 10/10 : c’est ce qu’elle vaut et vaudra toujours pour
moi…
Je prends le clavier pour évoquer
la mémoire d’un écrivain qui m’est cher et qui disparaissait
tragiquement voici cinquante ans. Je veux parler d’Albert Camus.
On serait bien inspiré de
relire l’Étranger et d’en méditer la portée.
Camus étranger parmi les siens, sur ce sol algérien où
il a grandi, orphelin de père, boursier national et philosophiquement
enclin à ce discours du monde que lui livrent ses sens, tel est
cet homme libre. Cet homme libre et déchiré entre sa communauté
de cœur, celle des Arabes, qui l’ignore et celle des Pieds-Noirs dont il
ne saurait partager le colonialisme « innocent ».
Doublement étranger par
conséquent, et même triplement quand, sous le régime
de collaboration avec la peste brune développé par Pétain,
la France n’est plus la France.
Étranger aux mots convenus
de même qu’aux comportements hypocrites ou aux conformismes confortables,
Albert Camus s’est donc toujours refusé à rechercher son
identité d’homme dans l’ordre « bourgeois » - qu’il
fût de droite ou de gauche – qui se nourrit de postures, de préjugés
et de modes… Il ne croyait pas pour autant, comme Lévinas, que nous
sommes tous étrangers sur cette terre, en attente d’un autre royaume.
Il ajoutait même dans Noces que « le monde est beau,
et hors de lui, point de salut ». Et dans son seul royaume, qui était
de ce monde, « s’il y a un péché contre la vie, ce
n’est peut-être pas tant d’en désespérer que d’espérer
une autre vie […] ».
Quant à son identité
nationale, il l’a mesurée en s’engageant dans la Résistance,
puisque ce combat lui permettait de revendiquer les valeurs de l’Homme
contre celles de la barbarie. Être un homme libre, ne jamais céder
à la fascination du machinal, ne jamais renoncer, ne jamais rouler
à l’immobilité, ne jamais s’embourber dans les strates des
totalitarismes, tels furent les vecteurs éthiques de ce juste qui
se voulait « ailleurs ».
Qu’on songe en effet au verbe «
résister », du préfixe intensif « re »
et de sistere, se tenir debout, se tenir ferme. Ce verbe désignait
d’abord le fait de supporter les épreuves sans faiblesse. Ce verbe
implique aussi de ne jamais se mentir.
Je revendique moi aussi cette définition
de l’identité nationale, celle qui permet à des hommes différents
mais solidaires de se retrouver dans leur détermination commune
à résister à toutes les formes d’avilissement, à
commencer par celles qui naissent de ses propres renoncements. Et peu importe
alors qu’on soit de la rose ou bien du réséda…
Ce combat pour une certaine identité
parcourt l’Histoire, d’Héraclite à La Fontaine, de La Fontaine
à Victor Hugo et de Victor Hugo à Camus. C’est le combat
de ceux qui pensent contre leur temps, chaque fois que leur temps pense
contre l’homme.
Ce combat n’est pas simple, et
Camus le savait car, comme la sienne, notre « tendance est de rouler
à l’immobilité » et de nous agréger aux dormeurs.
Évoquant ses années d’obstination dans ce combat, Camus concluait
dans ses Carnets : « Mais je sais que je me tiens debout par
cet effort même et que si je cessais un instant d’y croire je roulerais
dans le précipice. »
Albert Camus faisait partie de
ceux qui dérangent. Eh bien ! soyons nous aussi de ceux qui dérangent…
J’en reviens pour terminer à
Anny. Je pense que s’il l’avait connue, Camus aurait révisé
son jugement sur les femmes. Il n’aurait pas écrit : « La
femme, hors de l’amour, est ennuyeuse. Elle ne sait pas. Il faut vivre
avec l’une et se taire. Ou coucher avec toutes et faire. Le plus important
est ailleurs. »Car avec mon 64/46 je puis en même temps être
ici et ailleurs.
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Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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