le 17/09/2011 - JP BOCQUET |
Au fil des jours…
Samedi 17 septembre 2011.
Quelques entrées maritimes s’effilochent dans le ciel marin agathois,
ciselées en cotonneuses surimpressions d’un gris bleuté par
les irisations matinales du soleil. La journée sera agréable.
Les nouvelles que m’égrène
la télé n’ont pas cet optimisme d’un ciel automnal serein.
J’en passe et des meilleures sur les fermetures de sites industriels, la
crise financière et les chamailleries euro-américaines… Je
retiens l’arrestation de l’assassin d’un couple de retraités. Malgré
l’injonction ancestrale de toutes les morales, l’homme tue toujours son
semblable…
J’ai fini par devenir stoïcien
en ce domaine. Ce qui se passe dans la tête des meurtriers, leurs
motifs et leurs mobiles, leur niveau de préméditation, d’atrocité
dans l’exécution et d’inventivité dans l’horreur ne dépendent
pas de moi. Les exécuter à mon tour par la procuration du
Code pénal en dépend par contre totalement.
Il y a 30 ans s’ouvrait à
l’Assemblée nationale un débat qui allait mettre fin en France
à cette survivance archaïque de l’antique loi du talion, la
peine capitale. Doublement capitale depuis l’invention de l’engin supposé
adoucir les souffrances du condamné à mort, la fameuse guillotine.
Plus sûre que la hache du bourreau, moins cruelle que le bûcher
ou la roue, moins disjonctive que l’écartèlement, mais doublement
capitale, par décollation et par privation de la vie. Les armes
à feu, les décharges électriques ou les injonctions
létales utilisées ailleurs ne sont pas moins cyniques, surtout
quand s’y ajoute la satisfaction du voyeurisme public par le biais des
techniques modernes. Car la transe publique a longtemps entériné
le succès de la peine capitale.
Le 17 septembre 1981, les Français
plébiscitaient encore cette logique de la vengeance. Mais la justice
n’est pas la vengeance, la justice est réparation. Oh ! je sais.
Il y a des meurtres insupportables, des crimes d’une barbarie sans mesure…
Et comme tant d’autres, si j’avais l’assassin sous la main et la force
physique à proportion de ma colère, ma répulsion et
ma révolte, je l’étriperais. Et je puis penser que je suis
légitimement vengé si une institution raccourcit l’écervelé
à ma place. On entend d’ailleurs de plus en plus souvent aujourd’hui
des gens excédés par certaines abominations criminelles,
réclamer le rétablissement de la peine de mort pour les assassins
pédophiles ou terroristes par exemple. Et l’on voit de plus en plus
souvent les démagogues se frayer les voies du pouvoir en flattant
ces voix de l’émotion.
Mais la vengeance n’est pas la
justice… Et le droit de grâce, version édulcorée du
droit de vie et de mort des tyrans, est proprement in-humain. Insupportable
responsabilité que celle de décider qui va mourir, qui va
survivre. Qui oserait prétendre qu’il peut ainsi s’arroger la vie
d’autrui, en disposer à sa guise ? Même s’il essaie de décider
en conscience. Je plains de Gaulle et Pompidou quand ils eurent à
prendre ce genre de décision.
La justice est réparation,
et la mort de l’un n’a jamais réparé la mort des autres,
même si le quelqu’un s’appelle Ben Laden.
Réparation, du verbe réparer,
autrement dit re-parer, reconstruire et re-harmoniser ce qui s’était
brisé. Étrange analogie avec la fête du Tikoun de la
religion hébraïque, mais dans un autre registre, encore que…
Si le monde était parfait et si les hommes étaient des dieux,
réparer serait peut-être inutile, car rien, peut-être,
ne se briserait jamais. Mais voilà, quand le mal brise la solidarité
humaine, y creuse sa plaie, y niche son poison, aux hommes de remailler
le filet pour que la vie puisse reprendre à nouveau, porteuse d’espoir.
S’ils s’abaissaient encore à briser, ils consacreraient la victoire
de l’esprit de division et de haine, littéralement diábolos,
le diable, celui qui divise et qui brise.
On viendra sans doute me parler
de l’exemplarité de la peine de mort. C’est une illusion doublée
d’une imposture et, depuis qu’on l’invoque, les chiffres et les faits la
démentent continument. Je note d’ailleurs, avec beaucoup de lucidité
sur les lubies qui nous mènent, que ceux qui s’y accrochent sont
souvent les mêmes qui revendiquent l’un des commandements majeurs
: « Tu ne tueras point. » Qu’ils soient donc en accord avec
leurs principes et qu’ils ne s’arrêtent pas au milieu du chemin !
Parlant de Napoléon le petit,
Victor Hugo commence par dire, dans les Châtiments, « Tu peux
tuer cet homme avec tranquillité ». Le premier mouvement –
qui tire l’homme vers le bas – est en effet de vengeance. Mais il se reprend
pour conclure que cet homme ne lui appartient pas, qu’il appartient à
Dieu. Peu importe la croyance en Dieu dans cette affaire : le second mouvement
de Victor Hugo, c’est celui qui affirme l’humanité de l’homme en
l’homme, et qui l’élève de la vengeance à la justice.
Le 17 septembre 1981, Robert Badinter,
vient soumettre aux élus de la nation un projet portant abolition
de la peine de mort. Il le fait en conscience, avec dignité et sans
esbroufe, parce que c’est un progrès décisif dans le long
et pénible combat de l’humanité contre les passions qui l’avilissent.
Je voudrais ici saluer le courage de l’homme Badinter, du ministre Badinter,
du citoyen Badinter. Je le range dans mon Panthéon personnel des
grandes figures de la République et de l’Histoire. Et j’ose espérer
que les élections qui s’annoncent accoucheront de quelques hommes
d’État de sa trempe. Ce serait autrement valorisant pour la France
que la cohorte de communicants qui se profile…
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au fil des jours
Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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