Au fil des jours…
Vendredi 23 octobre. Nostalgie de
la jeunesse ; nostalgie de l’époque où le sommeil réparateur
se jouait du jour et de la nuit, pliant le temps à ma volonté
dans une élasticité sans faille des heures. Je n’étais
que force vitale… J’ai depuis appris le sens de la mesure : ça rend
responsable.
En relisant ce matin quelques notes
glanées dans les amphis de Lille III à l’époque où
je préparais les concours d’enseignement (j’ai conservé ces
notes comme des reliques ; on a les saints qu’on peut : les miens traquaient
les forces de l’esprit dans la langue et la littérature), j’ai redécouvert
un cours sur Henri Barbusse. Le pacifisme, les atrocités de la guerre
et du feu, l’athéisme et le communisme, tout ça m’a évidemment
renvoyé à Guy Môquet.
Inutile de revenir sur les qualités
littéraires, le réalisme et le lyrisme, la vérité
poignante des œuvres d’un écrivain qui fut quand même prix
Goncourt.
A travers ces notes, c’est l’homme
que je cernais à nouveau, l’homme parti vivre en URSS cette nouvelle
aurore où allait sa foi, dans le refus de tout ce qui pouvait avilir
ou écraser ses semblables. C’était donc davantage la révolte
qui le poussait à l’athéisme ainsi qu’au communisme que les
méandres de l’idéologie.
En France, on a peu à peu
occulté les œuvres de Barbusse, ne retenant dans les anthologies
ou les rayons des librairies que celles que l’on peut réduire à
leur dimension documentaire dans un cours d’histoire.
Et voilà que ces notes me
renvoient à une œuvre inédite en France, mais traduite en
russe et publiée en URSS au début des années 70. C’est
une pièce de théâtre en douze tableaux qui porte le
titre provocateur de Jésus contre Dieu. C’est une sorte de mystère
contemporain qui se termine comme il se doit par la victoire d’un ordre
juste sur les forces du chaos et par une mise en musique.
Je vous ferai grâce de l’analyse
de la pièce puisque je n’ai pas le texte sous les yeux, et pour
cause (à ma connaissance il n’est toujours pas édité
en France) et parce que ce ne serait jamais que celle de mon prof de l’époque
dont je tairai le nom mais dont je subodore les arrière-pensées
d’endoctrinement.
J’avais pourtant souligné
et encadré une citation. C’est le cri d’agonie que Jésus
lance à l’Absent, alors qu’on vient de le crucifier et que les ténèbres
du supplice l’enveloppent, le paralysent et l’asphyxient déjà.
On connaît le classique « Ô Père, pourquoi m’as-tu
abandonné ? » Mais cette fois-ci, la dernière lueur
de vie qui commence à vaciller dans la pupille ne cherche plus le
Dieu caché. Jésus s’écrie à ses semblables
: « J’ai brisé les idoles Ô vous tous, sois toi. »
Sois toi. Un message d’homme à
hauteur d’homme et pour tout homme… Sois toi avec courage, humilité
et tolérance, mais jamais dans la superbe ni l’humiliation. Prends
ta mesure d’homme et accomplis ta mission d’homme jusqu’au bout pour le
plus grand profit de tous… Mais en la matière, contrairement à
ce qu’espéraient Guy Môquet et Henri Barbusse, aucune lutte
finale ne viendra briser les idoles une fois pour toutes. La grandeur de
l’homme est au contraire dans une lutte quotidienne de tous les instants
contre les formes perpétuellement renouvelées de l’idolâtrie
et de la servitude volontaire.
C’est peut-être parce qu’il
l’avait pressenti et qu’il finirait bien par l’écrire, que Barbusse
est mort empoisonné, semble-t-il sur ordre de Staline.
Qu’on ne se méprenne point
sur ma philosophie : la lucidité et l’idéal sont complémentaires,
et l’âge ne fait rien à l’affaire. Ce n’est pas parce que
nos pas d’hommes peuvent nous mener dans les ornières des pires
turpitudes que nos mains d’hommes doivent renoncer à façonner
les pierres d’un monde meilleur.
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au fil des jours
Jean-Pierre
BOCQUET
Professeur
de Lettres retraité
Conseiller
municipal
13
allée des églantiers 59229 TETEGHEM
jpbocquet@aliceadsl.fr
Tel:
03 28 26 17 23 - Portable : 06 22 15 88 96
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