Vendredi 1er avril 2011.
Le jour n’est plus aux poissons, malgré une tradition bien enracinée.
La centrale nucléaire de Fukushima est passée par là,
avec sa structure d’inspiration romane et ses réacteurs déglingués.
Même Dieu ne se risquerait plus à manifester sa présence
à l’homme dans ses puits en fusion et ses radiations infiniment
prosélytes. On nous prépare au pire de jour en jour, au goutte
à goutte. Désormais, les opérateurs n’excluent plus
le ruissellement des eaux vers l’océan. Mais que tout le monde se
rassure et dorme sur ses deux oreilles :ils pomperont l’eau polluée
comme d’autres séparent le bon grain de l’ivraie. On les imagine
aussi figeant les vagues et les courants par imposition des mains, suspendant
aux nues les averses nocives, détournant les poussières dans
des zones inhabitées, garantissant à tous l’eau pure, l’air
respirable, la saine alimentation et la pêche miraculeuse pour
des siècles et des siècles. N’est-il pas là le poisson,
le gros poisson d’avril ? N’est-il pas là dans les ultimes tentatives
de ces magiciens disqualifiés pour chloroformer les opinions publiques
? La vérité, c’est que le japon va prendre l’eau polluée
et que ce mythique Empire du soleil levant risque de se muer en musée
déserté de la déraison des hommes.
En ce printemps maladif, le Monde
n’en finit pas de bouger, de plaques tectoniques géologiques en
plaques tectoniques géopolitiques. Partout, des tsunamis balaient
les certitudes les plus ancrées et les habitudes les plus rentables.
Libye, Syrie, Côte d’Ivoire, après d’autres et avant d’autres,
pages actuelles de cette Bible vivante où se lit l’exigence de
liberté et de justice. L’Histoire est de retour.
Curieusement, dans ce regard décentré
qu’il proposait à ses contemporains, Montesquieu situait son apologue
des Troglodytes au sud de l’actuelle Libye. Le programme moral qu’il y
esquissait se nourrissait d’anarchie vertueuse et d’amour fraternel, de
solidarité active et d’entraide mutuelle. Les hommes de cette utopie
n’avaient ni haine ni envie, et tout ce que pouvait faire le plus sage
d’entre eux, c’était s’assujettir à gouverner ses semblables.
Kadhafi qui s’est paré du titre usurpé de guide aurait été
bien inspiré de lire cet apologue et son programme moral. Mais il
est vrai que Kadhafi ne lit pas, il clame et vocifère… Mais il est
vrai qu’un programme moral n’a jamais fait un programme politique, nous
sommes bien placés pour le savoir. Kadhafi a préféré
se blinder dans sa folie destructrice, camper sur notre propre déraison,
asservir les siens et utiliser les missiles que nous lui avons généreusement
vendus pour liquider son peuple dont les sandales sont bien souvent les
seules armes. On est bien loin de toute morale dans cette affaire !
L’Afrique toujours. Celle de Stephan
Hessel. J’ai croisé ce vénérable vieillard lors de
la journée d’ouverture du dernier Salon du Livre de Paris. J’y allais
dédicacer mon polar Dunkerque sous le signe d’Othmane. Othmane,
un jeune Marocain fictif victime des apparences et de nos préjugés.
Il venait dédicacer son testament philosophique et politique Indignez
vous. Je n’aurai pas l’outrecuidance de prétendre l’égaler
parce que les hasards d’un salon m’ont permis de l’appréhender de
visu. Je ne discuterai pas non plus de la véracité de son
testament. De toute façon, la vérité est plurielle,
et la recherche sincère de la vérité importe plus
que les vérités momentanées et successives de la connaissance.
Mais je ne pourrai oublier son visage, cette expression de bonté
sagace et de générosité du sourire et du regard sur
ce corps frêle et légèrement voûté par
l’âge, cet humanisme profond de l’expression.
Il veut renverser la perspective,
replacer l’homme au centre du projet, évacuer des finalités
la loi du profit. Et le paradoxe de l’affaire, c’est que ses éditeurs
se préoccupent d’abord de la loi du profit en surfant sur des écrits
qui la dénoncent. Du coup, ils viennent de rééditer
Danse avec le siècle. J’avais lu cet ouvrage en 1997 et j’en recommande
particulièrement le chapitre sur l’Afrique, ce continent tant aimé
par Stephan Hessel. Il y décrit ses espoirs, ses actions et ses
attentes, l’impéritie pérenne des services français,
tous gouvernements confondus, malgré les vues souvent pénétrantes
de certains ministres, tels Jobert et Cheysson. Et il pose un diagnostic
sans complaisance, tout comme dans Indignez vous. Pour ces audaces et parce
qu’il dérange les jeux convenus, on cherche à le discréditer
et certains rêvent ouvertement d’avoir sa peau.
Les mêmes sans doute qui s’adonnent
à d’autres danses et qui ont payé leur entrée au bal
des prétendants qui bat son plein depuis les cantonales et leur
trop-plein d’abstentionnistes. C’est à qui, imitant la java bleue
de Berlusconi à Lampedusa, entrera en piste le premier pour éblouir
la galerie. J’espère que le PS ne nous jouera pas trop le quadrille
des lanciers et que certains, à droite, abandonneront vite cette
valse à trois temps qu’ils esquissent avec la luciférienne
qui n’a rien du romantisme échevelé d’une Emma Bovary. Rendez-vous
en mai 2012.
Danse avec le siècle nous
propose aussi de substituer à la galerie des ego surdimensionnés
des assoiffés de pouvoir qui ne pensent qu’à ça, le
« nous » d’un projet véritablement collectif pour le
plus grand bien de tous. Et c’est vrai que le citoyen en a ras le bol de
ces « moi je, moi je, moi je… ».
Que restera-t-il bientôt de
nos lamentables cantonales et des « clubs d’électeurs
aux stupides bagarres » pour reprendre la formule de feu Jules Laforgue
? Rien. Rien si ce n’est
« …par les brumes Sali, »
« Les feuilles d’or des bois
et les placards moroses »
« Jaunes, bleus, verts fielleux,
écarlates ou roses, »
« Des candidats noyés
par l’averse et l’oubli. »
Par l’averse radioactive du déluge
de nos déraisons ? Espérons quand même que loin du
« de profundis sceptique et monotone », il nous restera les
amoureux de Laforgue « seuls dans leur nid » et qui s’adorent.
Quand on l’amour en partage, c’est déjà ça…