* Jean RICHEPIN
(1849-1926)
Nativité
D'aucuns ont un pleur charitable
Pour Jésus né dans
une étable.
Je sais un sort plus lamentable
Je sais un enfant ramassé,
Un jour de décembre glacé,
Nu comme un ver, dans un fossé.
Il est nuit. Pas une voisine
N'offre à sa grange ou sa
cuisine
A la pauvre mère en gésine.
Malgré sa mine et son danger,
Qui donc voudrait se déranger
?
Elle est en pays étranger.
Donc, depuis l'étape dernière
Se traînant d'ornière
en ornière,
Elle va, bête sans tanière,
Bête hagarde qui s'enfuit
Et cherche à tâtons
un réduit,
Les yeux grands ouverts dans la
nuit.
Ses reins lui pèsent. Ses
mamelles
Que gonflent des cuissons jumelles
Sont pleines comme des gamelles.
Son ventre, où flambent des
chardons,
Sent l'enfant, fils des vagabonds,
Qui veut sortir et fait des bonds.
Elle va quand même, plus lente,
Tirant ses pieds lourds dont la
plante
Saigne. Elle va, folle, hurlante,
Soûle, et, boule, roule au
fossé ,
Et maudit le mâle exaucé
Par qui son flanc fût engrossé.
La face au ciel, comme en extase,
Elle se tord. Son cou s'écrase
Sur les cailloux et dans la vase.
Elle accouche enfin, en crevant
;
Et le gueux nouvel arrivant
Grelotte et vagit en plein vent.
Le vent est dur, sa chair est nue.
Aucune étoile dans la nue
Ne vient saluer sa venue.
Pas de mages, pas de cadeaux,
De crèches, de bergers badauds
!
Il est seul, couché sur
le dos,
Comme un supplicié qui claime,
Tout noir près du cadavre
blême,
Sans personne au monde qui l'aime
;
Et, par sa mère au ventre
ouvert
Je jure, le front découvert,
Que l'autre n'a pas tant souffert
!
©2007-2010 -tous droits réservé- Jean-Pierre BOCQUET